Ma définition du bonheur a toujours été très simple : oublier. Oublier par tous les moyens, qu’au fond, le bonheur, on n’y croit pas vraiment.
Cela faisait déjà plusieurs jours que je m’étais isolé dans une auberge à quelques minutes en vélo du centre historique de Chiang Mai, en Thaïlande. Moins de 3€ la nuit, avec petit-dejeuner et vélos à disposition gratuitement. Sur le papier, c’était le rêve de tout backpackeur. Pourtant, il y avait quelque chose qui clochait.
Alors que je réfléchissais sur le but de la vie, ou plutôt, sur le but de ma vie, j’ai reçu le message d’une copine qui me parlait de ses problèmes. Une histoire de voisin qui frappait chez elle pour se plaindre du bruit de ses pas, une machette à la main. Le message se terminait par « tu as de la chance toi, tu es loin de tout ça« . Elle venait de frapper en plein dans le mile. Je me sentais loin de tout.
J’écrivais l’année dernière que si j’en suis encore là, à voyager, c’était grâce ou à cause de Sydney, la ville de mon premier grand voyage. Mais c’est des conneries. La vérité, c’est que si j’en suis encore là, c’est à cause de l’amour. L’amour des filles avec qui j’ai partagé certains voyages, bien sûr, mais surtout de Yohan. À vrai dire, je suis tombé amoureux de Yohan comme on tombe amoureux d’une jolie fille. Alors dans la foulée de notre rencontre, nous sommes partis une première fois comme si nous nous étions toujours connus. Un mois aux USA avec un billet à 350€ et des hôtels pas chers, juste après la crise des subprimes. Et comme un jeune couple, on ne s’est pas lâché du voyage.
La seule différence, mis à part les câlins que l’on ne se faisait pas, c’est qu’il n’a pas retenu ses pets bien longtemps quand nous partagions la même chambre. Chose qu’il n’aurait pas fait en cas de présence féminine. Je ne méritais pas tant de galanterie.
On me dit souvent que j’ai de la chance de voyager autant. Mais ma vraie chance, c’est d’avoir ensuite pu vadrouiller pendant plusieurs mois avec deux compagnons d’aventure qui me correspondaient parfaitement. Yohan et Julien ont fait de mon premier long voyage un souvenir parfait. On aimait tellement être ailleurs, qu’en Australie on a réussi à rouler et dormir tous les trois dans la même berline pendant une trentaine de jours.
Je me demande ce qu’il resterait de tous ces endroits magnifiques si je les avais découvert seul, et de toutes ces galères, si je les avais vécu mal accompagné. Rester bloqué deux jours à pousser un van dans la boue, finir entassé à 28 au lieu de 16 dans un minibus piloté comme une Formule 1… en bonne compagnie, toutes ces mésaventures se sont transformées en des souvenirs impérissables. Je me suis certes beaucoup amusé à raconter mes péripéties en solo, quand j’ai failli louper l’avion à cause d’un paquet de frites ou quand j’ai eu un peu de mal à retrouver mon auberge. Mais sur le coup, je n’ai pris que peu de plaisir à les vivre seul.
C’était la fin d’un nouveau beau voyage de 4 mois avec Yohan mais j’étais fatigué de ce quotidien où l’on refait son sac tous les deux jours à la simple quête d’une nouvelle destination et j’avais préféré calmer le jeu tandis qu’il fonçait en direction du Delta du Mekong puis des temples d’Angkor. Il faut dire qu’il avait un tour du monde de retard sur moi.
Être courageux, c’était aussi assumer que si je moisissais seul dans mon auberge, c’est que je ne voulais pas de cette vie. Forcément, on préfère s’imaginer plus fort et pouvant s’en sortir seul dans son coin. Après tout, on lit partout que le voyage en solo est une expérience formidable. Mais j’avais réalisé déjà depuis longtemps que ce n’était pas vraiment fait pour moi (ou en tout cas pas pour le moment). Par contre, j’étais en train d’accepter petit à petit que l’amour et la tendresse manquait dans ma vie.
Mon auberge était particulièrement calme. Sur la dizaine de lits dans ma chambre, il n’y avait que le mien d’occupé. J’y ai passé une dizaine de nuits et je n’ai eu qu’une seule courte conversation. C’était avec un homme d’une quarantaine d’années qui avait prit un billet pour la Thaïlande et une chambre double, loin des plages de cartes postales. Il écrivait un mail à sa femme qui l’avait quitté récemment puis avait fini par se rapprocher de moi pour se confesser.
« Je lui ai tout donné. Mon amour et… beaucoup d’argent. Je crois pourtant qu’à un moment elle m’a aimé. »
Il m’a semblé ce soir là que moi aussi j’avais aimé.
Allongé sur mon lit, les yeux grands ouverts face au plafond, je ne mettais pas d’image sur ce sentiment. Je me suis simplement souvenu que je considérais parfois comme le bonheur, ces silences qu’on prend plaisir à faire durer avec un léger sourire au coin des lèvres, parce qu’allongée à ses côtés, se trouve également une personne dans le même état.
Trop occupé à faire du vélo 10 minutes deux fois par jour pour aller me chercher à manger, je n’ai répondu au message que deux jours plus tard. C’était pratique, c’était également le jour de son anniversaire.
Loin de tout, on est proche de rien.
J’avais pris soin d’ajouter un smiley pour faire passer la pilule.
Extrait du livre Gamin Voyageur.
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