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La vie normale

“Bon… vous, ça ne va pas vous parler mais… dans la vie normale…”

La vie normale. Après une petite heure de discussion avec mon banquier, l’expression était enfin lâchée. Une petite heure pendant laquelle il avait schématisé à l’envers (et avec une belle maîtrise) ce qu’on lui avait appris à expliquer. Moi tout ce que je retenais c’est que je payais 12€ par mois et qu’après ce rendez-vous, ne payer que 7€ n’était pas satisfaisant. J’allais devoir changer de banque.

La vie normale, en banque, c’était donc une femme, deux enfants et le crédit qui va avec. Le choix entre le balcon ou le jardin. Jusqu’à présent j’avais toujours brillamment réussi à éviter cette vie que l’on appelle également la vraie vie (souvent quand ça ne va pas).
Celle où après les études, on enchaîne avec un travail, des enfants puis, souvent, des regrets. Celle où l’on bosse 45 ans sans passion, en attendant la retraite et où l’on trouve ça normal. Celle où le boucher du coin est boucher toute sa vie puisqu’il a fait un CAP Boucher. Celle où, même bien accompagné, on finit toujours seul. Demandez à ma grand mère si je suis fataliste, 18 ans qu’elle n’a pas revu l’homme de sa vie.

On commence à vous l’expliquer dès le collège. Fini de rigoler, les devoirs augmentent à mesure que les récréations diminuent. Bientôt il faudra rentrer dans le monde du travail. Ensuite, se faire une place, fonder une famille, grimper les échelons, penser à sa retraite, économiser pour ses vacances… et, en cas de voyage de plus d’une semaine, appréhender le retour à la réalité. J’étais bien décidé à éviter tout ça du mieux possible, au moins juste un temps, quitte à passer pour le gamin qui fuit les responsabilités.

À l’approche du bac, quand tout le monde s’affaire à trouver sa voie et s’imagine déjà infirmière ou avocat, j’étais autant perplexe que lorsqu’au collège certains partaient en formation pour un futur travail à vie. Il y avait ceux qui avaient l’ambition d’en mettre plein la vue et qui n’envisageaient que l’école de commerce. Les plus sérieux envoyaient leur candidature, avec un brin de pression, dans leurs écoles favorites, tandis que ceux qui n’avaient pas vraiment fait leur choix se dirigeaient vers la fac avec le thème le moins repoussant, en attendant d’y voir plus clair. Et puis il y avait ceux comme moi. Qui ont passé l’année avec 04/20 de moyenne en maths, en recopiant tous les matins sur le voisin, à la va-vite, l’exercice inutile de la veille dans lequel il avait mis tout son coeur. Vous savez, ce voisin qui n’ose pas vraiment vous dire non et se contente d’essayer d’attirer discrètement l’attention du prof afin qu’il mette les points sur les i. Oui, celui qui a justement une très bonne moyenne en maths.
Mais il n’y a pas de justice. On m’apprendra par téléphone l’obtention de mon bac avec mention. Annonce reçu par mes parents et moi même avec une certaine indifférence, loin des pleurs et des félicitations.

Je n’ai peut-être pas grandi avec les bons exemples. Maman et son bac +5, à la maison, tandis que mon père, bac -2, terminait sa carrière en Suisse, conducteur de travaux et chef de la sécurité.
Un gosse encore en “crise d’adolescence”, “un manque de maturité”, “des capacités gâchées”, autant de termes que l’on donne à un “jeune homme” qui a tenu jusqu’au bac et que l’on n’a pas réussi à caser dans un moule. S’il n’est plus étudiant et qu’il ne souhaite pas faire carrière, quelle place lui reste t-il ?
À l’approche de la vingtaine, on ne me prenait pas très au sérieux. La vraie vie finirait bien par me rattraper. Mais à quoi bon prendre au sérieux une vie qui pourrait se jouer de vous en une fraction de seconde ?

Il me semblait que le piège, c’était de ne pas appréhender l’approche de la trentaine. Le boulot prenant, le mariage, les enfants, les contraintes… Tout ça avait l’air d’avoir été un enchaînement tellement simple pour la plupart de mes prédécesseurs. C’était eux les inconscients.
Voyager n’était ni une solution ni une fuite mais simplement un désir profond. Tant pis si au final ça ne devait durer que quelques mois et qu’il fallait ensuite faire en sorte de retomber sur ses pattes. Pour moi, il n’y avait pas de vraie vie ou de vie normale. Il y avait une vie que l’on essayait tant bien que mal de choisir en fonction de ses rêves. L’avantage du mien, c’est qu’il permettait de s’évader et d’éviter le schéma classique. Même si c’était prendre le risque de se retrouver trop longtemps loin de tout

un instant devant le soleil
Quand plus rien n’a d’importance, le temps d’un instant.

“Votre temps est limité. Ne le gâchez pas en menant une existence qui n’est pas la vôtre. Ne soyez pas prisonniers des dogmes, ce n’est rien d’autre que vivre selon les conclusions et les réflexions d’autres personnes. Ne laissez pas le brouhaha des opinions des autres étouffer votre voix intérieure. Et, par dessus tout, ayez le courage de suivre votre cœur et votre intuition : d’une manière ou d’une autre, ils savent ce que vous voulez vraiment devenir. Tout le reste est secondaire. Soyez insatiables. Soyez fous.”

Steve Jobs, voleur visionnaire, mort d’un cancer à 55 ans.

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