La vie de rêve, pour moi, ça n’a jamais été de siroter un cocktail au bord de la plage, à 50 mètres de son hôtel de luxe, le temps de se reposer pendant deux semaines de vacances.
J’ai découvert la vie de rêve en 2010 en Australie, sans billet retour. Cette vie consistait à dormir à trois dans une berline, à se doucher dans la nature ou dans les toilettes publiques et à avancer chaque jour vers de nouveaux paysages. Dans cette vie, il n’y avait besoin d’aucune voiture de luxe pour montrer sa réussite, d’aucun nouveau vêtement à la mode et d’aucun besoin de reconnaissance ou de faire carrière. Chaque journée était une nouvelle petite aventure et découvrir l’étranger et vivre simplement était suffisant. Souvent je me demande ce que j’aurais fait si le voyage n’avait pas eu une place centrale dans ma vie pendant plus de dix ans. Avant même d’avoir fait un tour du monde, j’écrivais, avec un peu de prétention, qu’il ne faut pas beaucoup de chance pour faire le tour du monde. Je pense que ma véritable chance, c’est d’avoir su à certains moments de ma vie ce que je voulais véritablement et d’avoir ainsi eu la volonté nécessaire pour aller au bout de mes petits rêves.
Parfois je me rends compte qu’en voyage je ne retiens pas vraiment les petites mésaventures comme la perte d’un appareil photo, une agression, un mauvais accueil dans un hôtel ou du retard dans les transports. Et même très souvent, ce qui pourrait ressembler à une immense galère, se transforme en un bon souvenir. Je pense notamment à la fois où on s’est retrouvé embourbé avec notre van en Australie pendant deux jours, à mes 22 heures de train en Chine ou quand on a été entassé dans un minibus au Vietnam à 28 au lieu de 16. C’était à chaque fois en pleine conscience que ce que je vivais était en quelque sorte agréable puisque hors du commun.
C’était pareil cette fois où, lorsque j’étais arrivé dans une auberge en Thaïlande, il n’y avait plus de lit pour moi, malgré ma réservation, car les hôtes avaient surbooké leur établissement. Je m’étais retrouvé sur un canapé vieillissant et pas du tout adapté pour dormir, au milieu du bruit, de l’humidité et des moustiques pour une nuit catastrophique. Je ne me suis jamais énervé. Et ça n’a jamais été un travail à faire sur soi avec des phrases du genre : “respire, tiens le coup, ça va passer”. À l’instant où j’allais sortir de cette auberge miteuse et m’éloigner de ce plan foireux, la vie serait à nouveau une chance.
Il y a une expression à la mode en ce moment : avoir de la gratitude. Je pense qu’avant même d’avoir réfléchi à la signification de ce mot, dès mes premiers pas à l’étranger (à plus d’une heure de route de chez moi), je crois que je me suis toujours senti reconnaissant et plein de gratitude. C’était évident, j’avais la chance d’avoir un passeport me permettant de voyager dans le monde entier et de pouvoir le faire alors que partout des gens travaillent dur toute leur vie et n’auront jamais 1% des possibilités que j’avais à l’époque. Par rapport au plaisir de se sentir libre et à l’aventure, les nuits difficiles et le mode vie disons bas de gamme n’avaient que peu d’importance. J’avais aussi la chance d’y trouver un certain plaisir.
Le lendemain de ma nuit presque blanche en Thaïlande, ma location de scooter n’a pas pu se faire. Parce que je suis un peu têtu et que ce jour là je suis tombé sur aussi têtu que moi. Ça faisait des jours que j’arrivais à avoir le tarif habituel pour quelques journées de locations de scooter mais aujourd’hui, sûrement aidé par le manque de concurrence à proximité, le loueur voulait absolument me faire payer deux fois plus cher, peu importe le nombre de jours de location que j’ajoutais. Comme je n’avais aucun hôtel prévu pour la suite du voyage, j’ai commencé par marcher un peu au hasard, pendant deux bonnes heures. J’ai avancé d’environs 9 kilomètres avec de belles côtes à grimper, sous 32 degrés, en plein soleil, avec deux sacs et 10 kilos sur le dos. Je ne crois pourtant pas avoir une seule seconde maudit mon sort car il y a toujours quelque chose d’un peu magique quand on a choisi d’avancer sans savoir la suite. On est au mois de novembre, il fait beau et chaud tous les jours, et je peux vivre confortablement pour moins de 10€ par jour. Je suis ailleurs, je suis libre. Rien de tout ça n’a besoin d’être dit ou rappelé. Tout est là.
Je me suis arrêté au bord d’une plage pour manger sur la terrasse d’un restaurant. Un plat délicieux, comme d’habitude en Thaïlande, pour une poignée d’euros. En partant, sans que je ne demande quoi que ce soit, la restauratrice me rattrape et me donne deux clémentines. Je lui dis merci et j’en profite pour lui demander où je peux acheter une bouteille d’eau. Elle propose alors de m’en donner deux petites. Avec cette chaleur, un litre d’eau ne serait pas de trop mais je trouve que c’est trop de gentillesse et je dois insister fortement pour n’en accepter qu’une.
Une heure de marche plus tard, dans une montée, j’entends des applaudissements et des encouragements. Ils proviennent du haut d’un poteau électrique en cours de réparation par trois ouvriers. Ça me fait sourire et en même temps je me dis que c’est eux qui mériteraient des encouragements mais il semble que le fait d’avoir deux sacs sur le dos rende ma démarche plus héroïque aux yeux des locaux. Je me retourne pour prendre une photo de la scène et c’est seulement à ce moment là que je me rends vraiment compte à quel point cette montée était raide.
À peine une demi-heure de marche plus tard, un conducteur me hèle. Je remarque qu’il est taxi mais il m’assure tout de suite qu’il ne me facturera pas.
“I’m Taxi, I don’t charge you !”
Je le crois. Pendant qu’il roule et nous conduit vers le sud de l’île, on discute un peu. Et une trentaine de minutes plus tard, lorsque je remarque une zone qui semble à la fois intéressante à visiter et pour dormir, il me dépose à un carrefour pratique pour reprendre la marche dans plusieurs directions. Il ne me demande pas d’argent et insiste également pour me donner une bouteille d’eau.
Quelques kilomètres plus tard, je paierai la nuit 9€ et aurai droit au coucher de soleil sur la plage Bang Tao, à quelques minutes à pied de l’établissement.
Qui pourrait garder un mauvais souvenir d’une journée de galère pareille ?
Vous pouvez retrouver quelques images et vidéos de cette journée en story à la une sur mon compte Instagram.
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