Alors que je me dirigeais vers le casino de Montréal, j’imaginais que je pourrais me contenter de ce qu’on appelle au poker un Hit and Run. Grossièrement cela consiste à gagner un gros coup et à rentrer gentiment à la maison dans la foulée.
Mais les choses ne se sont finalement pas passées comme prévu.
Après 2 heures de jeu, la soirée Hit and Run ressemble plutôt à un cauchemar. J’ai perdu 3 gros coup en étant largement favoris et je suis dans le rouge pour un peu plus de 350$. Ce n’est finalement que 4 heures plus tard que je repars du casino, positif de 253$, lessivé.
Il est 23h45, je meurs de faim. Sur le chemin du retour je fais un premier arrêt, station Berri-UQAM. Je crois que Montreal réussi à faire plus fort que Las Vegas. En l’espace de quelques minutes c’est un véritable défilé de clochards, de fous, de junkies et autres illuminés. J’ai même recroisé ce type qui avait réussi ce matin l’exploit de me demander 4 fois en l’espace d’une heure si je parlais français (dans l’idée de me demander ensuite « 25 Cents ou 2-3 dollars » qu’il lui manquait pour manger) comme si on ne s’était jamais vu. Passé minuit c’est semble-t’il avec le même acharnement qu’il continue de poser la même question à chaque personne qui croise son chemin.
Est-ce que pour autant on se sent en insécurité parce qu’il y a un vieux monsieur qui dort sur le trottoir, une droguée qui parle toute seule, un mec qui menace de taper tout le monde et des gens qui nous demandent de l’argent ? Non, surtout que la police est très présente dans le centre ville.
Après ma pause dîner, je reprends le métro direction l’appartement de mon cousin. En sortant, je repère du coin de l’œil une personne qui semble s’être décidée à se mettre en marche juste après m’avoir aperçu. La journée je passe mon temps à analyser les gens. Et aux tables de poker, je passe mes soirées à analyser le comportement de mes adversaires. Il est possible que je me fasse des films mais comme à l’époque de mon tour du monde en 2013, j’ai cette sensation d’un mec pouvant me suivre avec un couteau. Il est plus petit que moi et semble assez maigre mais il est dans mon dos.
Je suis encore sur la rue principale mais bientôt je vais devoir prendre sur la gauche. Une fois dans la rue adjacente, il n’y aura probablement plus personne et les lumières seront beaucoup plus discrètes. Même si mon lit ne sera plus très loin, si on continue d’être dans mon dos, j’aurais besoin de me retourner pour me rassurer.
Je tourne finalement une rue plus tôt que prévu et quelques instants plus tard, en jetant un regard furtif derrière moi, j’aperçois la même silhouette. Les probabilités que cette personne qui a décidé de m’emboîter le pas deux minutes auparavant habite dans cette rue me semblent assez minces. Avec mon t-shirt blanc et ma sacoche noire en évidence, j’ai désormais l’impression d’être la proie parfaite. J’hésite à partir en courant mais je me remets tout juste d’une entorse et rien ne l’empêchera de continuer d’être dans mon dos.
Je ralenti le pas puis me retourne.
Il essaie de se figer tant bien que mal après avoir tendu son bras gauche dans ma direction. Au bout de sa main tremblante, un couteau. Il y a encore environ un mètre qui nous sépare.
À cet instant, la scène est un peu surréaliste.
Les yeux fatiguées, je porte encore mes lunettes de soleil (qui sont également mes lunettes de vue) et même si mes écouteurs sans fil sont déchargés depuis deux jours, je les portent depuis que je suis rentré dans le métro car ils réduisent assez bien les bruits extérieurs.
Alors qu’il m’a semblé l’entendre me dire « donne tout », je retire mes écouteurs sans dire un mot, en le regardant dans les yeux comme pour l’inciter à parler à nouveau.
-Donne tout, m’ordonne t’il une nouvelle fois.
La poche principale de ma sacoche est ouverte. Dedans, il y a un iPad avec un écran cassé, mon téléphone et mon passeport. L’argent est dans une autre poche avec mes cartes de crédit.
-J’ai rien c’est juste un iPad, l’écran est cassé, dis-je tout en continuant d’analyser la situation.
Pendant ces quelques secondes de réflexion, ma décision est déjà prise. Je partirai d’un seul coup, en courant et en criant pour ne pas lui donner l’envie de me poursuivre. À ce moment là, j’hésite simplement à le pousser avant de me lancer. Un Hit & Run en quelque sorte. Mais vu la distance qui nous sépare, je ne pense pas avoir grand chose à gagner à me rapprocher de lui.
En fait, si ce mec n’avait pas un couteau pointé dans ma direction et si je n’avais pas 700$ et mon passeport dans ma sacoche, je serai tenté de dire qu’il fait de la peine. Je n’ai senti aucune conviction dans ses demandes, il semble en manque et incapable de passer à l’action. Si nous étions à une table de poker, je dirais qu’il est en plein bluff. Je suis évidement conscient qu’au poker comme dans la vie, même si notre lecture est bonne, on n’est jamais à l’abri d’un coup du sort. Mais depuis l’instant où j’ai croisé son regard, j’ai eu du mal à imaginer que j’allais lui laisser la chance de partir avec mon argent et mon passeport. Les démarches pour pouvoir reprendre l’avion et rentrer à la maison lorsque l’on s’est fait voler son passeport doivent être tellement fatigantes…
Je me suis donc mis à courir, en oubliant de crier, comme si je reprenais mon footing et que monsieur avait juste demandé son chemin. Un mois après mon entorse à Las Vegas, je ne suis pas vraiment capable de courir élégamment mais j’ai tout de même été vite convaincu d’avoir fait le bon choix. Alors que je regardais une dernière fois dans mon dos, le bras et le couteau ne pointaient plus dans ma direction mais le reste de son corps n’avait pas bougé d’un centimètre.
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