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L’histoire de l’accident à la campagne

Nous sommes au début du mois de mai et il fait un peu frais en cette fin de journée qui annonce un joli coucher de soleil. Après une journée de boulot dans ma nouvelle maison, alternée entre le terrain à l’extérieur et la rénovation à l’intérieur, je décide de faire un petit tour rapide à vélo, pour tester que tout fonctionne bien après avoir une nouvelle fois changé la chambre à air. La vie à la campagne se passe comme espéré, agréablement bien.


Dans une descente, quelques minutes après mon départ, ma casquette s’envole et je me retourne bêtement pour l’observer atterrir gentiment sur le bord de la route. Au moment de reprendre le contrôle, en une fraction de seconde, la roue avant glisse sur le côté et le vélo m’attire instantanément avec lui dans sa chute, tête première vers le sol.
Le choc est violent. Tellement violent que je suis surpris d’être encore conscient. Le bitume m’a accueilli sans faire de vagues, au niveau de l’arcade et de l’os zygomatique.
Pour essayer de me prouver que je vais bien, j’essaie de me relever rapidement mais ma tête tourne trop fort et je me sens attiré par le sol. Je n’ai pas le choix, il faut que je me pose par terre. J’analyse alors la situation : le sang que je remarque au sol et que je sens glisser sur ma peau ; les déchirures sur ma doudoune ; l’état du vélo, légèrement abîmé ; le fait que j’ai acheté une maison perdue à la campagne et que je pourrais attendre longtemps avant que quelqu’un ne passe par ici à cette heure. Dans ces conditions, il est clair que je ne peux pas me permettre d’espérer un sauveur et me reposer en l’attendant. Je suis surpris de ne pas avoir de blessures sérieuses au poignet et à la jambe même si je suis râpé un peu partout, notamment sur toutes les phalanges de la main gauche. Ce genre de douleur ne me dérange pas. L’idée de perdre la boule, un peu plus. Alors je prends quelques instants pour me poser les questions existentielles et vérifier que tout tourne rond :
Qui suis-je ? Je m’appelle Thibaut PERRIER, je suis né le 14 juin 1987 à Évian-les-Bains.
Quel est le sens de la vie ? On verra plus tard.
Je pense que j’ai convenablement répondu à ces deux questions mais je me dis que les fous aussi sont persuadés d’être dans le vrai.
Je prends un selfie pour regarder l’état de mon ouverture sur l’arcade.

Dégâts et kilos en trop

Je sens qu’il y a un petit bout de peau qui est parti et je me demande comment je vais pouvoir réparer les dégâts sans l’aide de quelqu’un. Je ferme les yeux quelques secondes afin de reprendre un peu mes esprits, avant d’essayer de me relever à nouveau.
La deuxième tentative se passe mieux que la première. Je tiens la route et je remonte doucement la pente qui m’a mené à l’accident. Sur mon chemin, je croise rapidement deux fermiers en train de discuter. Avec ma tête en vrac et mon vélo que je trimbale à mes côtés, je me sens extrêmement fatigué et j’ai juste envie de leur demander de me déposer chez moi, pour dormir et faire comme si rien ne s’était passé. Une fois la légère surprise (ou frayeur) face à mon visage ensanglanté passée, une solution est vite trouvée. Une voisine est infirmière, elle devrait pouvoir nous aider. Il faut juste pousser le vélo quelques centaines de mètres de plus.
Une fois arrivé sur place, je me sens le bienvenu. Ce qui est tout de suite plus agréable qu’un tête à tête avec la chaussée. Elle connaît son métier et les numéros à appeler dans le coin en cas d’urgence. Je suis entre de bonnes mains. J’en profite pour faire un petit malaise. Avant un malaise, il y a quelques instants où l’on se sent partir. C’est une sensation assez douce (particulièrement quand on vient d’avoir un accident violent et que la tête est lourde) que je n’avais jamais connu jusqu’ici, malgré un sacré accident de voiture quand j’avais encore l’excuse d’être un jeune homme.
Sentir son esprit se séparer et se déconnecter de son corps. Quand j’étais petit, c’était comme ça que je me représentais la mort. C’était le noir complet, jusqu’à la fin des temps. Nous n’aurions alors plus que les pensées comme unique compagnie et il fallait donc avoir accumulé énormément de souvenirs de son vivant pour ne pas avoir à s’ennuyer avec soi-même, une fois que l’on ne ferait plus partie des vivants.
Je remarque que, bien que je n’ai aucune envie que la vie se poursuive de cette manière, cette idée de la mort avait au moins le mérite de donner un petit sens à l’existence. Il fallait faire en sorte de vivre sa vie au maximum. C’est ce que l’on appelle vulgairement de nos jours : profiter à fond.

Les pompiers arrivent au bout d’une vingtaine de minutes et dans la bonne humeur. Je me suis très vite remis de mon malaise. J’ai appris entre temps qu’il était impossible que quelqu’un d’autre qu’un médecin ne s’occupe de mes points de suture. Je suis à presque une heure de route de l’hôpital le plus proche et je m’excuse de devoir embêter un médecin tard le soir pour quelques égratignures et surtout d’avoir fait déplacer des pompiers pour un gnagnou1 comme moi.

Le tour du monde de mes pieds dans l’ambulance

1 : Simple d’esprit, personne sotte, en patois savoyard.

J’arrive à l’hôpital sur mon lit mobile, direction le couloir et l’attente.
À chaque fois, je me pose la même question : comment réussi-t’on encore à trouver autant de personnel soignant (qui plus est, si mal payé) qui accepte de partager quotidiennement le calvaire et les petites et grandes souffrances de tant d’inconnus.
Dans mon couloir ce soir, il y a trois vieilles dames. La première est sur le départ, la deuxième est impatiente et je finis par remarquer que la troisième n’a pas toute sa tête. Elle est persuadée d’avoir perdu une bague et qu’on cherche à lui nuire. Deux ou trois infirmières et un médecin défilent régulièrement comme des personnages d’un théâtre de boulevard et complètent le tableau de cette pièce bruyante et assommante.
Moi, sous le feu des projecteurs, ce que je souhaite c’est juste un peu moins de lumière pour mes yeux sensibles. Mais je sais que ce n’est pas aujourd’hui qu’il faut espérer un petit traitement VIP.
Sans surprise, c’est plusieurs heures plus tard que le médecin se présente à moi. Et il en faut une de plus, à 1 heure du matin passée, avant qu’il ne s’attaque à l’atelier couture sur chair humaine. Il m’annonce qu’il sera compliqué de faire quelque chose de joli avec le bout de peau qui est parti et qu’il faudrait, par prudence, faire une nuit sur place. Je décide d’accepter l’hospitalisation, en grande partie influencé par mon envie de manger et de dormir le plus rapidement possible.
Le lendemain, le retour a lieu en taxi (pris en charge par l’assurance maladie) et la facture de l’hospitalisation (dans les 1300€, remboursés par ma complémentaire), arrivera par courrier quelques semaines plus tard.
J’aurai donc encore une heure de route pour me dire que j’habite un beau pays.

Cicatrisation Selfie
Cicatrisation et kilos en moins.

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