La réalité m’a rattrapé quand j’avais 10 ans.
Dans la grande maison de mon enfance, séparée en deux habitations distinctes, d’un côté il y a nous : papa, maman, mon grand frère et moi. De l’autre, il y a pépé et mémé. Tous les midis, le repas se passe de l’autre côté. Aux fourneaux il y a mémé qui se lève tous les matins vers 8h avec le même objectif : faire à manger. Et dehors, il y a pépé qui fume sa clope. Je trouve qu’il a une gueule et un charisme incroyable. Même s’il faut reconnaître que souvent, il a l’air un peu ailleurs. Il y a quelques années, il a passé plusieurs mois dans le coma suite à un accident de travail. Après avoir dégringolé d’un toit, il amortit tout le matos qui l’avait accompagné dans sa chute. Prématurément à la retraite, je vois donc ce vieux monsieur plus souvent que mon père qui passe régulièrement la semaine dans des tunnels en construction à l’autre bout de la Suisse.
Aujourd’hui, fatigué, il se plaint d’une douleur au bras gauche. A l’époque ce n’est pas connu comme un signe avant coureur. Lorsqu’au milieu du repas, ma grand mère lui amène une tisane, c’est la panique. Les cris face à la crise cardiaque. Personne n’empêche le gamin curieux que je suis d’aller observer la scène.
Depuis le couloir, on aperçoit le lit où repose mon grand père. Ses yeux, jaunis, ne sont pas fermés et j’ai l’impression qu’ils regardent dans ma direction, vides. Je n’étais qu’un enfant mais je me souviens très bien avoir tout de suite compris que la vie avait quitté le corps de mon grand père. Au milieu des pleurs et du va-et-vient de désespoir, j’ai rapidement disparu du couloir, aussi discrètement qu’à l’aller. Assis dans l’escalier, je comprends qu’au téléphone, le chemin du petit-tronc n’est pas l’endroit le plus facile à indiquer pour des pompiers localisés à 6 kilomètres dans une autre ville. À l’époque, on ne pouvait pas encore compter sur le GPS. Le retard n’aura cependant, selon le médecin, que peu d’importance. Il était déjà trop tard.
Désormais, pas besoin de liker des posts Facebook qui vous expliquent à quel point la vie est courte et qu’il faut en profiter. Cette sensation que la vie ne tient finalement qu’à quelques contractions rythmiques est depuis ce jour gravée à vie. Elle a, et influencera encore probablement nombre de mes décisions.
Il m’a fallu plusieurs années et puis un jour, j’ai écrit une lettre et je me suis senti un peu apaisé. Comme piqûre de rappel, à 19 ans, quand on se croit immortel et enfin libre, j’ai miraculeusement échappé à un accident de voiture.
La réalité est implacable. Nous voguons avec plus ou moins de facilité vers une fin irrémédiable. Ne m’en voulez pas si, à l’autre bout du monde ou ici, j’ai l’air ailleurs. À Las Vegas, en croisant ce clochard au coin de la rue pendant 1 semaine, matin, midi et soir, statique sur sa chaise roulante, baignant parfois dans sa pisse, en Inde face à ces gamins à la rue qu’on vire à coups pieds au cul, devant mon écran en regardant ce mec se faire tabasser à mort sur Facebook, ou simplement allongé sur un lit en sentant mon coeur palpiter, la réalité me rattrape tous les jours. Et ce, même si j’ai beau vivre une vie moins normale.
Justement, on ne profite que mieux quand on connaît déjà la réalité…On profite intensément, on profite maintenant, parce qu’on sait à quel point quand le “parpaing de la réalité” te tombe sur la gueule du mauvais côté, c’est dur de se relever.
Merci pour ton retour 🙂
C’est un très beau texte dans lequel je me reconnais complètement. Merci. Profite.
Merci Lucie 🙂
Encore un post intéressant, éducatif presque même si ça n’en est sans doute pas le but. Toujours l’art et la manière de raconter ta vie, ces choses qui font de toi la personne que tu es.
Merci encore de nous permettre de suivre tes aventures 😉
Mais tu es partout ! Merci 😉