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Tête en l’air prend l’avion

Aujourd’hui, Monsieur Tête en l’air prend l’avion.

Ce matin, à Ho Chi Minh, je me suis levé tôt et j’ai marché avec un grand sourire. Tous les vieux que je croisais portaient un bermuda beige. J’ai rapidement rejoint la gare et suis monté sans difficulté dans le bus local pour l’aéroport, bien moins cher que les navettes. Puis j’ai gentiment patienté jusqu’au décollage, malgré l’absence de réseau wifi en état de marche. Un sans faute.

L’avantage de ma réservation : un double vol low cost (un premier international suivi d’un domestique), c’est que nous n’étions que cinq, inscrits sur une liste pour passer rapidement une toute petite douane.
Désormais, en correspondance à Bangkok, je me trimbale mon ordinateur sans protection sous le bras, un sac en plastique blanc avec mon chargeur à l’intérieur et ma sacoche de voyage en bandoulière.  Il y a 4 réseaux Wifi ouverts et aucun ne marche. Dommage, je ne me souviens plus exactement du nom de l’auberge que j’avais réservé il y a quelques jours.
Au McDonald’s, c’est un nouvel échec. Le réseau wifi ne fonctionne pas et je dois manger mon burger sans les frites (encore plongées dans l’huile). Devant mon Mega Big Mac (oui, ça existe), j’ai un peu honte. J’ai l’impression d’être ce fumeur borné qui persiste à fumer par fierté, malgré les nombreux avertissements. Mais j’ai une excuse, la petite supérette de l’aéroport n’acceptait pas la Carte Bleue.
Du coup je débats, seul.
Je me demande si il existe vraiment des personnes chez nous “à conscientiser” (nouveau mot à la mode), qui n’auraient pas eu vent de la recette dégueulasse des nuggets de poulet ou de la qualité de la viande dans les steaks hachés ou dans les merguez. Je prétends que la majorité n’a pas le temps de s’en faire et/ou s’en fout. Personne ne s’oppose à mes réflexions, alors je continue. Face à la dignité des poules contre des œufs plus chers, combien vont choisir en fonction de leur porte monnaie? Puis j’avance, sans en être certain, que dans les conférences sur la malbouffe il n’y a que des convertis qui se complaisent dans l’idée qu’ils ont fait le bon choix. Existe t’il des végétariens qui font un véritable effort au quotidien pour tenir leur régime? Je me dis surtout que les pro-carnivores sont la plupart du temps aussi butés que les végétariens mais que les deux sont bien contents d’avoir des convictions qui forgent leur identité. Et je me dis que justement, moi, des convictions, je n’en ai pas beaucoup.
D’habitude j’aime tenir le rôle du salaud mais tout seul, ce n’est pas amusant. Alors le débat est bâclé et clos rapidement : la malbouffe c’est un peu comme avec la musique ; il y a soit disant tout un tas de clips de “merde” que tout le monde s’amuse à critiquer mais qui pourtant font des millions de vues sur Youtube. Soit il y a un tas d’hypocrites, soit le monde aime la merde. C’est certainement beaucoup des deux.

Alors que mes frites se font toujours attendre, je commence à douter de l’heure à laquelle je suis censé me présenter devant la porte d’embarquement. A force de relire le billet, j’ai peut-être bien confondu l’heure de l’ouverture de la porte avec celle de la fermeture. J’ai subitement une boule au ventre et le cœur qui palpite. Je me lève pour réclamer mes frites. Le chef (du personnel) me dit de patienter one moment et se dirige vers la friteuse qui ne sonne toujours pas. Un moment qui dure de longues secondes et pendant lequel j’hésite à me passer de frites. Louper un avion par principe, est-ce bien raisonnable? Je n’ai pas le temps de répondre à la question. Le manager revient l’air satisfait en me proposant pour la peine un paquet de frites XL qu’il dispose avec soin sur un plateau. Bouffe de merde mais service soigné. Je suis maintenant convaincu d’être en retard et m’empare du paquet de frites avant même que le plateau ne soit reposé devant moi. Tant pis pour les salutations et le style, je pars en courant sans dire un mot. Je n’ai plus mes jambes de 20 ans mais je ne suis pas bien loin. Après un virage à gauche, je réalise qu’au loin toutes les portes d’embarquement sont maintenant désertes. A l’instant où je commence à imaginer le pire, j’entends une voix dans les hauts parleurs de l’aéroport.

Last call for passenger Thibaut Perrier

Rassuré, c’est avec un grand sourire que j’arrête ma course, bien décidé à profiter de ce moment. C’est donc des idiots de mon genre que l’on appelle ? En marchant je fais coucou à l’hôtesse de l’air qui commence à répéter son annonce. Elle m’aperçoit alors que je ne suis plus qu’à quelques mètres du comptoir. Je lui souris comme lors d’un premier rendez-vous, mon paquet de frites dans une main et mon ordinateur dans l’autre.

My Big Mac was so good, you know…

Je lui montre mon passeport, elle déchire mon ticket. Les présentations ne durent finalement qu’une poignée de secondes. On ne prend pas le temps de faire connaissance et j’entame la descente qui mène à la passerelle en me demandant si j’ai assez de batterie sur mon ordinateur pour lire un livre. J’ai soudain l’image de mon chargeur dans son sac en plastique blanc, délaissé, sur la table du McDonald’s. J’hésite quelques secondes avant de me précipiter vers le comptoir.

— I comeback in two minutes !
— And your boarding pass sir?

J’aimerais lui dire que mon boarding pass ainsi que mon ordinateur, ma sacoche et mon gros paquet de frites m’attendent sagement par terre et que tout va bien se passer. Mais je viens de lui promettre que je revenais dans 2 minutes.

— Just two minutes !

Elle semble accepter avec résignation alors que j’accélère déjà ma course. De retour au McDo, mon sac en plastique traîne toujours sur la table, je fais un signe de la main un peu honteux au chef et repars aussitôt.
Sur le retour, je croise une de mes frites à terre devant le comptoir et je m’empresse de retrouver mon ordinateur, ma sacoche et mon gros paquet de frites encore chaudes.

J’arrive à bord de l’avion (avec mon ordinateur sous le bras, ma sacoche en bandoulière, mon sac en plastique blanc et mon gros paquet de frites) et présente avec un peu de difficulté mon passeport et ce qu’il reste de ma carte d’embarquement. L’hôtesse voit rouge, mon ticket vert devrait justement être couleur sang.

Ecoutez ma petite dame, j’ai payé pour un siège dans cet avion de votre compagnie bas de gamme et j’aimerais pouvoir manger mes frites encore chaudes dessus !

En réalité, je me contente juste de lui dire timidement que pour moi c’est une correspondance et que tout est normal. Elle réalise rapidement son erreur et je peux enfin avancer, fièrement, sous le regard des passagers déjà attachés (avec mon ordi sous le bras, mon sac en plastique blanc, ma sacoche en bandoulière et mon gros paquet toujours débordant de frites). En marchant le long de l’étroit couloir, je savoure une à une mes frites, l’air faussement dédaigneux et personne ne me gène sur mon passage. Un homme hoche la tête de droite à gauche pour montrer avec humour à quel point je suis scandaleux. Je lui tends mon gros paquet (le rouge) et il se saisit de deux frites. Je lui fais signe de faire attention à sa ligne en réalisant avec ma main une courbe au dessus de mon nombril, représentant son ventre en surpoids. Il perd subitement le sens d’humour.

J’ai droit à une place à côté du hublot. Deux filles, qui semblent se connaitre, doivent se lever pour me laisser passer. L’une est blonde, l’autre a un visage de type asiatique.
Dans un peu plus d’une heure il sera 23h ; j’aurai atterri avec l’équivalent de 3€ en monnaie locale et sans savoir le nom exact de l’auberge que j’ai réservé. Un petit détail qui aura des conséquences.
A l’instant où je commence à zieuter ma voisine et à apprécier les traits de son visage, ses doigts plongent entre ceux de sa copine puis se resserrent. Leurs pouces s’échangent alors des caresses tandis que l’avion quitte le tarmac.

Entre Bangkok et Chiang Mai, 10 mars 2015

à suivre…

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