Il y a deux ans, j’ai vécu l’un des plus beaux mais aussi l’un des plus éprouvants voyages de ma vie : 2 mois de road trip aux USA.
Arrivé au début du deuxième mois de voyage, mes yeux, fragiles, ne supportaient plus la lumière et ces longues journées de route à fixer l’horizon. Un horizon qui avait jusqu’alors toujours été bienveillant avec moi. À l’époque, j’avais pris l’habitude de souffrir gentiment de maux de tête quasi quotidiens et je n’avais ni lunettes à ma vue ni lunettes de soleil adéquates. Et désormais, chaque reflet dans l’habitacle était douloureux. Bizarrement, je sais que ce deuxième mois de voyage fut particulièrement difficile mais j’ai toujours du mal à me remémorer les mauvais souvenirs. Lorsque je repense à ce voyage, je ne vois que de jolis paysages, la route et ses bons souvenirs. Le reste doit être enfoui quelque part dans ma mémoire. J’ai juste ce vague souvenir de journées où je passais la tête sous une serviette pour me protéger de la lumière et de mon corps qui m’annonçait tous les jours qu’il n’en pouvait plus de tout ce stress. À l’instant où je mettais la ceinture pour démarrer, je me sentais oppressé, mon cœur se mettait à palpiter et j’étais instantanément tendu et migraineux pour le reste de la journée car cela signifiait pour mon corps de nouvelles heures de route à souffrir. Le combo boissons énergisantes + anti-douleur n’arrangeait pas grand chose ou pas bien longtemps. Ce que je faisais subir à mes yeux et le stress que cela représentait se répercutait dans tout mon corps et je n’avais pas le recul nécessaire pour écouter ce qu’il me disait ni pour me remettre en questions. J’étais arrivé à un point où je n’arrivais même plus à finir mes phrases sans avoir le souffle coupé. Une contrainte enfin suffisante pour me pousser à aller voir un spécialiste.
Un cardiologue qui, avec mon petit sourire en coin, m’a d’abord juste pris pour “une boule de nerf” même si dans le doute, il m’a quand même refourgué un tensiomètre qui se déclencherait automatiquement pendant 24h.
“A priori on n’aura pas besoin de se revoir.”
Une semaine plus tard, et un message sur mon répondeur par jour me disant de le rappeler, il a fini par me laisser un dernier message m’expliquant qu’il avait transféré mon dossier à mon médecin traitant, l’air un peu grave. C’était seulement 48h avant de devoir repartir pour Las Vegas.
Dans la salle d’attente, je me suis imaginé ma réaction si le médecin m’annonçait quelque chose de vraiment grave et qu’il ne me restait plus que quelques mois à vivre. Si je passais du jour au lendemain du statut de vivant à celui de mourant, comme un malade qui apprend qu’il est en phase terminale. Je me suis demandé quelles décisions je prendrais si on m’annonçait que la fin était proche et que plus rien d’autre ne comptait, que je ne pouvais plus trouver d’excuses ailleurs ; dans la pression de la famille, des amis, de la société ou dans toutes sortes d’illusions et de rêves que l’on se répète pour se rassurer. Car c’est bien là la différence entre le vivant et le mourant. Vivant on peut encore se persuader que tout va bien ou que tout ira mieux. Que ce boulot est temporaire, qu’on peut encore changer de vie, que ce rêve se réalisera… Mourant, il ne reste plus que l’ultimatum.
Sur ma chaise en plastique, j’ai fini par sourire avec un peu de fierté en me disant que si j’apprenais une mauvaise nouvelle, ça ne changerait pas grand chose puisque finalement je me comportais un peu comme un mourant depuis des années, n’oubliant que trop rarement que la vie pouvait s’arrêter d’un claquement de doigts. C’était à la fois un moteur, qui pouvait me pousser à faire le tour du monde, mais aussi un poids qui me faisait prendre soin de ne jamais rien construire et de ne pas trop croire, tout en craignant constamment de perdre mon temps.
La question qu’un idiot comme moi aurait dû se poser était plutôt «Qu’est-ce que je ferais si j’étais moins con ?». Réplique que l’on retrouve dans Le cœur des hommes, l’un de mes films préférés. Comme le dit ensuite Jean-Pierre Darroussin, “Encore faut-il se poser la question !”.
D’abord évidemment j’aurais pu faire en sorte de prendre plus soin de moi, respecter mes yeux et perdre les 10 kilos que j’avais en trop. Facile ! Plus compliqué, j’aurais aussi pu éviter de m’attacher à des histoires superficielles juste pour un peu d’affection. Mais comme je le disais souvent à mes amis à cette époque, les conditions étaient bonnes. J’avais une copine sympa, fournie avec un appartement tout neuf, dans une résidence à deux pas du lac Léman. Elle m’avait accueilli à bras ouverts, réconforté, gâté d’orgasmes, et comme un idiot je m’y étais attaché. À force, j’étais devenu ce que je méprisais, un mec qui avait choisit la facilité et les petites habitudes d’une vie moyenne et qui préférait faire le dos rond plutôt que d’affronter la réalité.
J’avais une copine sympa mais qui ne me plaisait pas vraiment.
Une copine sympa mais qui n’envisageait pas la vie de la même façon que moi.
Une copine sympa mais qui pensait aux enfants alors que je n’étais qu’un gamin.
Une copine sympa mais dont je n’étais pas véritablement amoureux.
Une copine sympa, jusqu’au jour où elle décide de passer à autre chose.
J’étais alors triste de perdre mon petit confort mais uniquement parce je n’avais pas le courage de changer et que ma fierté d’antan qui me poussait avait disparu. J’étais à l’époque trop con pour le réaliser et je suis simplement reparti voyager.
Parfois pour mieux remonter à la surface, il faut toucher le fond. Et quoi de mieux pour ça que de tomber amoureux et de se faire briser le cœur ? Aimer pour deux, c’est peut-être ensuite ce que j’ai fait de mieux. C’est ainsi que j’ai pris conscience de cette autre part de moi que je ne contrôlais pas. Celle qui me rendait dépendant, qui m’empêchait d’envisager la vie sans une douce compagnie et qui voulait finir dans ses bras tous les jours, apaisée, persuadée de se savoir vivre ailleurs que dans son propre corps. C’était cette partie de mon esprit qui voulait y croire ; à l’amour, aux enfants, au bonheur. Une partie de moi que j’avais l’habitude de renier et qui avait laissé échapper quelques larmes lorsque la sentence est tombée, sachant très bien que j’allais certainement vouloir repartir pour oublier et à nouveau ne plus y croire ; à l’amour, aux enfants, au bonheur. Enterrer une nouvelle fois cette partie de moi était facile. Se retrouver était un peu plus complexe.
C’est là où, au bout de deux ans à feu doux, l’arrivée de la méditation dans ma vie m’a permis de vraiment réaliser que je m’étais oublié. J’ai appris à faire le vide, à écouter mon corps, à lâcher prise et également ce que cela signifiait vraiment d’être sensible. J’ai compris qu’avant de vivre pour deux, il fallait d’abord s’aimer soi-même ; seul.
Il aura fallu deux ans pour avoir le courage d’assumer ma solitude et retrouver la fierté d’être vivant et d’aller de l’avant. Deux ans pour être un peu moins con.
Alors parfois je me brise, à l’abri des lumières. Je est un autre qui me désespère.
Et je traîne à l’arrière, et je traîne mon cœur. Je vois les autres par la vitre,
Ils avancent sans douleur, ils avancent vite.
Je vois les autres oui, qui me devancent, qui me quittent.
Très beau texte. Tu as une jolie plume, en effet.
C’est gentil merci 🙂
très bon article. Je me pose parfois les mêmes questions que les tiennes. Les sentiments sont parfois choses difficiles.
Merci, ça me fait plaisir 🙂