Ce jour là, à Barcelone, j’étais sorti du casino avec près de 1000€ dans ma sacoche. Certainement l’une de mes plus belles récoltes au poker en cash game. J’avançais sans réfléchir, un restant de saucisson aux herbes dans la main gauche, acheté bourré quelques jours auparavant en France, et une mauvaise baguette dans la main droite pour l’accompagner. Le croissant au chocolat blanc avait quant à lui été une immense déception et j’avais patienté longuement pour refourguer le deuxième à un clochard.
Manger reste une douce sensation quand on est malheureux. Venant de me faire larguer, je comptais beaucoup sur cette distraction. Heureusement, mes parents sont des gens raisonnables et m’ont offert une enfance sans trop d’excès et un patrimoine génétique vide de tout risque d’obésité.
Je dis toujours qu’un couple est l’association de deux égoïstes qui recherchent les mêmes choses. J’essayais pourtant de me remettre en question. J’avais toujours considéré ça comme une qualité très importante au poker. Mais plus que mon cœur, c’était mon ego qui était touché. Comment pouvait-on espérer mieux que Thibaut, le gamin voyageur, toujours franc et rigolo, qui peine à trouver le sommeil, se réveille caressé par l’anxiété, bien trop cynique pour avoir de l’ambition ? Je n’arrêtais pas de me répéter en boucle l’expression “on n’a que ce qu’on mérite”.
Une chose avait totalement changé chez moi ces dernières années : mon rapport au câlin. Au sens le plus propre, bande de gros pervers. Avoir réalisé que les câlins étaient une condition indispensable à la plénitude (bien au delà d’une sexualité débridée) ne faisait actuellement pas mes affaires. J’aurais aimé pouvoir prendre quelqu’un dans mes bras (de préférence, du sexe opposé). J’avais pourtant, je pense, plus de chances d’assouvir mes désirs sexuels. Avouez qu’on a peu de chances d’être pris au sérieux, en sortant à une fille que l’on vient de rencontrer, “viens chez moi, on fera plein de câlins !”. Bon, en fait, ça a déjà marché, mais c’est une autre histoire !
Mon appartement loué pour encore plusieurs mois, j’avais décidé de jouer la montre du côté de Barcelone comme lors de mon retour de tour du monde.
Je n’espérais pas de phrases du genre “une de perdue, dix de retrouvées !” de la part de mes amis. Par contre j’imaginais qu’un mec normal aurait pu aller voir ses potes pour se remonter le moral. Ceux qu’on n’aime pas suffisamment pour les considérer comme des amis mais qui trouveraient là la parfaite excuse pour passer une bonne soirée. Mais tout ce qui ressemblait à des “potes” était doucement sorti de ma vie. Il ne restait plus que quelques publications sur mon fil d’actualités Facebook à base de “soirée cosy”, mariages forcément réussis et présentations de nouveaux-nés toujours trop jolis même si ce n’est pas toujours vrai. De loin, avec mes voyages autour du monde, je donnais certainement l’impression de mépriser leurs vies.
J’ai surtout compris ce jour là pourquoi il semblait plus raisonnable pour beaucoup de ne jamais “tout” quitter. J’étais dans une situation où j’aurais simplement voulu pouvoir laisser passer l’orage dans mon petit chez moi, affalé sur mon sofa mais mes choix m’en empêchaient.
Le confort du canapé offrait une certaine sécurité tous les jours de la semaine. L’assurance d’un réveil qui sonne chaque matin jusqu’au week-end, et de vacances à placer entre le 14 juillet et le 15 août. Certes, on pouvait rêver mieux mais dans cette configuration on gardait espoir que la vie continuerait avec nous, quoi qu’il arrive. Et on ne risquait pas de se retrouver comme moi, à l’aube de mes 30 ans, dans une auberge de jeunesse remplie de gamines vous vouvoyant et vous appelant “Monsieur”.
Je n’avais jamais eu peur de me retrouver dans cette situation car j’avais toujours vécu pour mon envie de voyager. Se sentir en sécurité dans son canapé n’avait jamais fait partie du programme.
Évidemment que ça finirai par aller mieux.
Et bien sûr, se réconforter tous les soirs sur son canapé n’était pas la solution.
Mais à cet instant, le présent avait juste un goût amer.
Quelques mois plus tard, je marchais à nouveau main dans la main avec une personne du sexe opposé. Je prenais plaisir à l’observer avec un peu de distance. Souvent elle se tournait dans ma direction, le temps d’un regard charmeur à la manière d’une pin-up.
C’était plus fort que moi, je lui disais régulièrement qu’elle était belle tandis que les falaises d’Étretat s’offraient à nous dans de parfaites conditions.
Évidemment que le ciel allait s’assombrir un jour.
Bien sûr, nous n’allions pas garder ce sourire béat en permanence. Et au fond de moi je savais déjà que je n’étais pas à ma place avec un rêve encore compliqué à réaliser.
Mais ça n’avait pas d’importance. À cet instant, le présent était simplement délicieux.
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