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White Sands National Park

Maman

Je me souviens parfaitement de ce soir où, pour la première fois de ma vie, j’ai osé dire à mes parents « bonne nuit ». Je devais avoir 12-13 ans et j’avais l’impression d’avoir franchi un grand pas.
Légèrement éloigné du salon où l’on regardait la télé, la moitié du corps caché par le mur de l’escalier, j’avais dit timidement quelque chose de gentil à mes parents. Généralement à cette époque, je me retrouvais ensuite à pleurer au lit sans véritablement comprendre ce qui clochait chez moi. Adolescent, quand mon frère avait transformé son Maman en Mom, j’avais décidé de continuer avec le mot Maman.
Maman. C’est tout ce que j’ai su dire d’affectueux ensuite.
Il n’y a jamais eu de pas supplémentaire ; ni d’un côté, ni de l’autre.
Je suis allé jusqu’au Bac sans vraiment me rendre compte que j’étais bien souvent à côté de la plaque. Jusqu’au jour où j’étais prêt à foncer avec la première fille qui m’avait tendu les bras. J’avais 19 ans et encore l’arrogance d’un ado persuadé qu’il s’en sortirai très bien « tout seul ».
Lorsque ma maman m’a donné le dernier carton à mettre dans ma voiture, elle ne put retenir ses larmes. On ne se parlait quasiment plus. Je crois que ce jour là, elle a réalisé que son rôle de mère au foyer était officiellement terminé. C’était le seul qu’elle avait depuis les 20 dernières années.
Je n’avais jamais voulu faire de mal. N’ayant jamais vu mes parents s’embrasser, se tenir par la main ou se montrer le moindre geste d’affection, je n’avais aucune notion de ce que pouvait représenter un câlin ; mais c’est ce que faisaient les gens dans les films. Quand quelqu’un pleure, on le prend dans ses bras. J’ai essayé de bien m’y prendre mais rien de chaleureux ne s’est dégagé de nos deux corps. C’était comme se retrouver collé à un inconnu.
C’est la première et dernière fois que j’ai pris ma maman dans mes bras.
En grandissant, j’ai doucement accepté que maman ne pouvait pas me donner ce que je voulais. Bien sûr, j’étais toujours un peu vexé qu’elle ne s’intéresse jamais vraiment à mes voyages autour du monde mais je ne doutais plus de son amour. J’avais décidé qu’il était animal, instinctif ; qu’elle était comme une lionne, capable de tout donner pour protéger ses enfants, mais qu’il ne fallait pas compter sur une lionne pour jouer au Monopoly avec sa progéniture. J’avais eu la chance d’avoir une maman intelligente et tout de même toujours présente.
Récemment, je suis tombé sur cette vidéo d’un lion qui sort de sa cage pour faire un câlin à son maître et je me suis mis à chialer comme si j’avais appris une horrible nouvelle.
J’aurais aimé que ce soit elle, qui lisait deux livres par semaines, qui me complimente sur mes petits récits et me pousse à écrire ; plutôt que ma voisine, qui avait pourtant toutes les raisons de me détester, puisque peu après mon emménagement dans l’immeuble, mes potes, bourrés, lui avait cassé tous ses pots de fleurs.
Aujourd’hui, je ne peux même plus lui en vouloir. Les quelques fois que je vois ma maman, je me retiens de pleurer. Quand elle ressort de la boulangerie et qu’elle ne sait plus où nous sommes alors qu’on n’a pas bougé ; quand elle semble perdue lorsqu’il faut mettre fourchettes et couteaux sur la table ; quand elle commence une phrase et, après un court silence, la termine par « ah bah du coup j’ai oublié ce que je voulais dire » comme si ce n’était pas grave ; quand ma grand mère n’arrive plus à retenir ses larmes lorsqu’elle explique que bientôt il faudra la mettre dans un hôpital ; quand je pense à mon père et que bientôt elle ne saura même plus mon prénom.
Lors de mon dernier séjour au Canada, j’ai appris de ma tante que ça fait 35 ans qu’elle n’a pas vu un médecin. 35 ans, c’est l’âge que va avoir mon frère. Quand je pense qu’elle a passé sa vie à s’inquiéter pour les autres, à me dire de prendre soin de mes dents. Quelle blague.
Rien ne va. Rien n’ira. Mais on fait comme si de rien n’était. Il n’a jamais été question de parler de ses dépressions, il ne sera jamais question de parler d’Alzheimer.
Faire comme si de rien n’était, n’est-ce pas ce que l’on fait tous sur cette terre ?
Je ne suis pas certain d’être capable d’affronter la suite.
Je me suis drogué de voyages comme d’autres sombrent dans l’alcool.
J’ai fait de ma vie une splendide fuite en avant.

Janvier 2018


C’était l’introduction de mon livre « Gamin voyageur » disponible dès maintenant sur Amazon en e-book Kindle et en version papier.
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Thibaut Schweppes

Passionné par les parcs d'attractions, le catch et les road trips à travers le monde, je voyage plusieurs mois par an depuis 2009.

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