De Shanghai à Zhangjiajie.
Sac Louis Vuitton sur ses cuisses, le regard figé au loin, presque immobile. C’est le personnage central de mon point de vue. Une femme perdue dans ses pensées. Face à moi, un homme en chemise rouge somnole, les bras croisés. Il ouvre par intermittence les yeux quelques instants mais sa bouche, régulièrement grande ouverte, le trahi. Il me fait penser à Chow, le chinois de Very Bad Trip. De temps en temps, une serveuse passe rapidement avec un chariot rempli de chips et de nouilles ou de fruits frais sous plastique. J’ai l’impression qu’elle répète la même série de mots à intervalles réguliers mais c’est sans la fougue des vendeurs de beignets au bords des plages. Cette fois, j’en ai pris pour 22 heures. Mais contrairement au premier train couchette que j’ai pris en Chine, ici pour le prix, pas question de s’allonger et le confort est une notion à oublier. La banquette semble pencher vers l’avant et « l’effet moelleux » est quasi inexistant. Très certainement adapté à la morphologie chinoise, bien entendu. Autre problème, le train freine souvent subitement comme s’il se coinçait dans les rails. Le wagon de derrière semble alors nous rentrer dedans et le train reprend alors une allure plus correcte.
Quelques instants plus tard, la serveuse, ou peut-être une autre, passe encore plus vite avec ce qui doit-être une poubelle. Même si j’avais pu comprendre ce qu’elle voulait dire, en arrivant dans mon dos, j’aurais à peine eu le temps de jeter quelque chose.
Plus de doute, elles sont plusieurs. Le défilé continue avec un chariot de jouets pour enfants. J’ai pu distinguer un gros dinosaure à l’avant et une branche avec un oiseau multicolore en plastique qui s’égosille si l’on passe devant.
Une rangée plus loin, sur les 3 sièges qui me font face, tout le monde dort. Dos a moi, je ne vois qu’une personne. Elle regardait jusqu’à présent partout autour d’elle avec un brin de folie dans les yeux. Les bras croisés, elle sert une veste contre son ventre en étant exactement dos a dos avec celle qui tient le sac LV, toujours immobile. Le contraste était amusant, jusqu’à ce qu’elle décide de fermer les yeux. Endormie en quelques secondes, sa tête remue maintenant au rythme des secousses du train. J’envie vraiment ces gens qui ne peinent pas à trouver le sommeil.
Premier arrêt du train après une petite heure de trajet. Un nouveau flot de passagers traversent mon wagon qui est déjà plein. Un unijambiste est entré pour faire la manche. Il chantonne pour la forme, tout en passant trop rapidement sa main sous le nez de chaque passagers. C’est sans succès.
Le chariot que je pensais être une grosse poubelle en inox est en fait une sorte de frigo puisque quelqu’un vient d’en sortir une grosse salade.
Une petite heure a dû s’écouler. J’ai réussi à vaguement m’endormir, la tête sur une tablette à peine assez grande pour deux assiettes, que nous sommes 4 à partager. Une jeune femme se tient debout, au milieu du wagon. Elle baragouine à l’aide d’un micro-casque, comme un vendeur sur un marché, un petit tableau et un feutre entre les mains. Puis elle commence à écrire.
23 x 9 = 207
Elle dépose son tableau et fait des signes avec ses mains avant se remettre à résoudre rapidement des multiplications.
67 x 9 = 603
86 x 84 = 7224
Globalement je ne comprends pas grand chose mais les gens réveillés semblent intéressés par le projet. La banquette est insupportable.
9999 x 7074
J’arrête là et me dirige vers le distributeur d’eau chaude, pour manger mon bol de nouilles. Lorsque je rejoins ma place, la vendeuse, c’est confirmé, est en train de refourguer des bouquins. Et ça se vend plutôt bien. A croire que la démonstration a porté ses fruits. J’imagine que c’est une méthode de calcul mentale révolutionnaire.
Je me remets a écouter Yann Thiersen tandis qu’une vendeuse pose sur la tablette et sous mes yeux, un plateau en inox rempli de petits porte-monnaie. Mais porte-monnaie ininflammable messieurs-dames! Tout à l’heure, elle faisait semblant d’en brûler un avec son briquet.
Pendant ce voyage, j’aurais également eu droit à des ceintures et à des espèces de portes clés probablement porte-bonheur. J’ai du m’endormir une vingtaine de fois, réveillé à chaque fois par la chaleur étouffante ou bousculé par un chariot ou un passant.
Quelques jours plus tard, pour rejoindre Hong-Kong depuis Fenghuang, le programme était encore corsé :
1 heure 30 de bus suivi de 4 heures d’attente puis 16 heures de train. Confort encore plus sommaire avec une banquette trop dure et trop petite. En guise de vague courant d’air chaud, une dizaine de ventilateurs sont alignés à intervalle régulier sur toute la longueur du plafond du wagon. Ils tournent à 360° mais aucun n’est sur le même temps. Je suis sûr que si on les remplacerait par des spots de lumière, cela pourrait faire une boîtes nuit plutôt originale. Mais ce n’est pas fini : 1 heure 30 de bus, 30 minutes de métro, un passage à la frontière, 1 heure de métro et 1 heure pour récupérer une chambre. Plus de 24 heures pour arriver à bon port.
16 ou 22 heures de trajet au beau milieu de la Chine, dans un train hors d’age, vu comme ça, cela a tout l’air d’un mauvais souvenir, pas vrai ? C’est bête, mais maintenant que j’y repense, 22 heures de galère en train, entouré de chinois, ça me fait plutôt rêver. Pas vous ?
C’est sûrement pourquoi les voyages me passionnent autant. Avec le recul, même le plus long des trajets peut se transformer en un souvenir mémorable.
C'est souvent les souvenirs les plus indélébiles.
je passe sur le porte-monnaie ininflammable mais la méthode révolutionnaire de calcul mental! il me la faut !!! sinon, j'adore cette description de voyage en train avec ses scènes décalées, un vrai dépaysement culturel j'imagine. (ps: je suis gentille, je commente directement sur le blog 😉 )
Merci, mais… ce serait pas une façon de réclamer une carte postale ça? ^^
hahaha! why not?
Billet très sympa à lire!
J’aime beaucoup prendre le train en voyage et j’essaye d’ailleurs de le prendre lors de chacun de mes voyages si c’est possible.
Je garde les meilleurs souvenirs du train en chine et en inde!