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Les lignes de désir

Une ligne de désir en architecture, c’est un chemin alternatif, tracé par le piétinement des utilisateurs, qui n’était pas prévu lors de la conception de la zone.

Ligne de désir
Illustration classique d’une ligne de désir.

En randonnée on peut aussi souvent apercevoir comme des lignes de désir. Au moindre petit arrêt, je fais souvent plus en fonction de ces lignes là qu’au chemin classique. J’ai commencé à vraiment y prendre goût en France au Canyon du Diable où il n’y a aucun chemin officiel. J’ai pû passer mes après-midi tranquille et isolé, au dessus du canyon, en plein confinement, après avoir trouvé un spot très peu emprunté qu’il fallait deviner. Les lignes de désir dans la nature, ce sont juste des gens avec plus d’expérience qui sont passés avant vous et vous montrent un autre chemin, une alternative. Dans la vie, la route principale est connue de tous, un jour vous deviendrez papa ou maman et à moins d’être déjà riche, il vous faudra un job. Les lignes de désir de la vie sont en revanche souvent beaucoup plus floues. Il y a évidement les passions, encore faut-il en avoir, ou être doté d’un talent particulier pour sortir du lot. Mais pour les autres, il ne semble souvent n’y avoir qu’une option : trouver un travail puis fonder une famille. J’écris ces mots, en me revoyant à 16-17 ans, en train de discuter du nombre d’enfants et de leurs prénoms avec mon premier amour, à distance. En y repensant je trouve ça complètement dingue d’avoir pû penser une seule seconde que l’amour et le bonheur devait forcément signifier une maison et des enfants, si tôt, si jeune, et tellement à côté de la plaque. J’étais sur la voie rapide et je n’avais pas du tout pris le temps d’envisager d’autres chemins. Et en même temps, avec le recul, je me dis que c’était normal. J’étais un gamin solitaire en train de vivre « l’amour » et c’était la première fille qui s’intéressait à moi. À l’époque, j’étais bien loin de savoir ce qui m’inspirait vraiment dans la vie d’adulte et incapable de prendre quelqu’un dans mes bras pour lui montrer de l’affection. Personne n’allait me proposer un autre itinéraire à cette époque.

Ces derniers jours dans l’Utah, les lignes de désir m’ont conduit au milieu d’un superbe canyon que personne ne semblait vouloir visiter, à oublier tout puisque trop occupé à trouver le bon chemin et à contempler les paysages fabuleux. J’ai retrouvé les sensations de voyage ultimes : un peu d’imprévu, quelques surprises, de la beauté et la liberté.

Si vous avez la chance comme moi de tomber sur des personnes qui ont un peu plus d’expérience pour vous mettre sur la voie, trouver sa propre ligne de désir devient plus simple. Je me suis retrouvé loin de tout, à voyager presque tout le temps, parce qu’on m’a largement aidé à allumer le feu de la pulsion du voyage qui attendait sagement au fond de moi. Avant de partir ensemble pour de longs voyages, mes deux amis et futurs compagnons de route étaient de retour, de plusieurs mois en Espagne pour l’un, et d’un long voyage aux USA pour l’autre. Alors, quand on est parti en Australie, j’ai pu compter sur leur expertise pour apprendre à voyager. Ensuite, quand j’ai réalisé que ma façon de découvrir le monde me coûtait à peu près 700€/mois, prendre une autre voie n’a pas été compliqué. Mais décider de voyager est peut-être ce qu’il y a de plus simple à faire quand on a ce désir profond de s’évader (et qu’on est sans enfant). Une fois la décision prise, il suffit d’économiser un minimum d’argent et de partir. Je sais que ça paraît facile à dire et que j’ai eu la chance de pouvoir le faire assez facilement mais avec le recul j’ai aussi réalisé à quel point c’était à l’époque évident pour moi. Je m’en suis vraiment rendu compte il y a deux ans, au milieu d’un voyage assez classique aux Canaries. C’était un joli road trip, il faisait beau tous les jours et les paysages ne manquaient pas de charme. Pourtant le constat était évident, je préférais rentrer en plein hiver à la maison (que je venais d’acheter et qui n’est pas isolée) plutôt que d’être à l’étranger. J’ai annulé la moitié du voyage restant et pris le premier vol abordable pour rentrer plus tôt, en février, au lieu de rester bien au chaud. Peut-être que j’aurais pu avoir cette sensation là dès mes premières semaines à l’autre bout du monde en 2008. Je suis retourné chez moi mais j’ai trouvé ça beau d’avoir autant eu envie et plaisir à voyager, au point de ne pas envisager autre chose. Au point d’aimer me réveiller le dos cassé après avoir dormi sur le siège passager de la voiture de location ; au point d’aimer les lits superposés grinçants des auberges de jeunesses. Au point d’envisager des vols avec des escales interminables, des heures de sommeil sur le marbre de l’aéroport et des trajets en trains inconfortables de plus de 20 heures. Au point de n’avoir plus aucun repère à chaque retour en France. J’avais aussi le plaisir de tout organiser et tout calculer pour que le budget soit respecté. Cette sensation d’avoir envie de rentrer à la maison au bout d’une ou deux semaines, certains l’ont toute leur vie. Ce n’est pas grave mais je me demande bien ce que j’aurais fait de mon existence pendant ces 15 dernières années si je n’avais pas autant aimé le voyage. Ce chemin de désir qui semblait à chaque fois mener partout sauf à une vie normale, je prends encore du plaisir à l’emprunter. La seule différence désormais, c’est que je n’ai plus peur de renter à la maison.

Canyon Utah
Au bout du désir.

« Le contraste entre le calme avec lequel nous continuons à vivre tranquillement et ce qui nous arrive est vertigineux. »

Bruno Latour

Thibaut Schweppes

Passionné par les parcs d'attractions, le catch et les road trips à travers le monde, je voyage plusieurs mois par an depuis 2009. Retrouvez moi sur Instagram.

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