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La vie à la campagne

Quelques photos sur une annonce immobilière, 6 heures de route pour se retrouver au beau milieu de la France et une offre faite le soir même. Il y a quatre ans, j’ai acheté la maison de mes rêves. Mais, à vrai dire, ce n’était pas tant la bâtisse elle-même qui me faisait rêver mais plutôt le terrain qui l’entourait : une prairie rectangulaire de 5000 m², légèrement en pente, nue et tondue à ras par des vaches paisibles. Ces dernières, qui ont dû se décaler sans révolte lorsque j’ai investi leur champ, reviennent parfois paître dans la prairie voisine, comme un rappel de ce qu’était le terrain avant. Une immense feuille blanche. Un vide plein de promesses que j’espérais fertiles.

Le voisinage.

J’étais bien conscient que c’était un rêve qui demanderait du temps. Ici, loin de l’agitation urbaine, la vie retrouve sa juste cadence. On ne peut pas forcer la nature à avancer en vitesse x2, comme on est parfois tenté de le faire devant son écran. Il faut observer, attendre, patienter, s’adapter. C’est frustrant, apaisant. Tout ce qui pousse ici le fait à son propre tempo. Et c’est ce rythme-là qu’il faut apprendre à épouser. Dans ce petit coin de campagne, on est stimulé autrement. Les sens se reconnectent à une réalité tangible. Ce ne sont plus les notifications ou les flux numériques qui attirent l’attention, mais le frémissement des feuilles, le passage furtif d’un insecte, le chant d’un oiseau, la lumière qui glisse sur l’herbe au matin et met en relief les gouttes d’eau.

Rosée du matin.

Depuis ce jour où je suis arrivé, dehors j’ai surtout planté, espérant créer plutôt que de ratisser. Des arbres, tout un tas d’arbustes fruitiers, des plantes aromatiques, rosiers, bambous et tutti quanti. J’ai façonné le terrain à petites touches. Aujourd’hui, je commence à envisager la fierté en voyant les fraises des bois s’étendre dans le petit sous-bois, là où avant il n’y avait rien. Les insectes et les oiseaux reviennent nombreux. Un couple d’aigles survole régulièrement la zone, comme s’ils veillaient sur le lieu.

Cerisier 4 ans après.
Prunier à 2 ans d’écart.

Mais la nature n’est pas toujours clémente. Il y a l’angoisse des jeunes pousses qui ne grandiront pas, la peur qu’un gel tardif ne réduise à néant des mois d’efforts. Comme l’année dernière, quand trois jours à -4°C ont brûlé les fleurs déjà ouvertes de nombreux fruitiers. Il y a les attaques de chevreuils qui rongent sans vergogne les écorces, les lièvres qui mangent presque toutes les feuilles des fraisiers comme pour rentabiliser un buffet à volonté. C’est la fameuse part des anges. Et les campagnols qui peuvent à tout moment dévorer les racines, bien à l’abri depuis leur galeries souterraines. La vie à la campagne, c’est aussi ça : un équilibre fragile entre le rêve et le réel.

Triangle de fleurs.

Et pourtant, malgré les doutes et les petits échecs, la vie s’installe, doucement. Elle se développe, saison après saison. Mélisse, menthe, lavande repoussent fidèlement et laissent des odeurs enivrantes sur les mains. Les fraises se multiplient, grâce aux stolons replantés. C’est une récolte modeste de quelques kilos mais quasi quotidienne pendant plusieurs semaines. Bientôt, ce sera au tour des baies de mai. Véritables petits bonbons ressemblant à des myrtilles mais au goût unique : acidulé ou plus sucré, selon le moment de la cueillette. Puis les myrtilles, framboises, cassis ou encore amélanches, argouses, mûres, cerises, pommes, poires et cie.

Faire les comptes.

Il m’a tout de même fallu trois ans pour réaliser qu’un bel étang où la baignade est possible se trouvait à quelques minutes de la maison. Je l’avais ignoré, trop absorbé par le chantier du jardin. Aujourd’hui, même si l’eau y est encore glacée, s’y plonger est naturel. Les bains froids sont devenus une habitude et un plaisir vivifiant.

Baignade en février.

J’aime souvent penser que, même millionnaire, je ne changerais pas de vie. Il y aurait sans doute quelques améliorations (une isolation plus sérieuse, moins de calculs lorsqu’il faut faire des commandes, une belle piscine naturelle à la lisière du bois) mais l’essentiel resterait inchangé. Je continuerais à vivre ici, au rythme des saisons (en s’éloignant ailleurs l’hiver), les mains plongées dans la terre, le regard tourné vers les nuages. À espérer sans garantie, à cueillir avec exaltation, à m’émerveiller d’un chant d’oiseau ou d’une floraison imprévue. Et c’est peut-être ça, au fond, le vrai luxe : ne pas vouloir toujours s’échapper, mais habiter pleinement ce que l’on a. Et laisser la terre nous transformer autant qu’on tente de la transformer.

Faites-moi confiance, c’est allongé en claquettes-chaussettes sur ma chaise longue que je vous laisse sur ces mots.

Thibaut Schweppes

Passionné par les parcs d'attractions, le catch et les road trips à travers le monde, je voyage plusieurs mois par an depuis 2009. Retrouvez moi sur Instagram.

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