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Courage, fuyons

À ma droite, il y avait ce couple d’une cinquantaine d’années, qui a passé une heure à se tenir la main et se faire des petits bisous comme des collégiens. L’avion entamait sa descente et plus il descendait, plus elle rigolait. L’atterrissage proche, elle rigolait toujours autant et puis soudain, BIM! la tête dans le siège. Et oui madame, la ceinture dans un avion, c’est inutile.
Voilà, un peu plus d’un mois à peine après mon retour de tour du monde, je me retrouvais dans un avion pour la 66e fois de ma carrière. Seul, pour la première fois. Je ne suis pas parti bien loin, j’ai un défi de taille à relever dans peu de temps à Las Vegas. Mais j’ai fui et ce n’était pas prévu.

J’ai fui le froid, l’amour, ma famille, la France.
J’ai fui mes amis, bloqués par un boulot ou par amour, qui attendent le week-end pour oublier.
J’ai fui les conversations sur la crise, les faux débats télévisés.
J’ai fui les photos de bébés sur Facebook, les projets de mariage, les partages de clichés racistes.
J’ai fui l’impression d’être quelqu’un de normal au milieu de gens normaux.
J’ai fui les responsabilités, les projets d’avenir, la vie toute tracée.
J’ai fui comme un gamin qui veut éviter la punition.
J’ai fui pour oublier. Oublier qu’avec ou sans moi la vie continuera.
Surtout, oublier que la vie n’a aucun sens.
J’ai fui cette sensation de me sentir simplement mortel.

Récemment, j’ai essayé d’expliquer que plusieurs fois dans ma vie, j’ai été amoureux, très amoureux même. Mais, qu’à aucun moment je n’ai réussi à croire à un amour parfait. Du genre qui durerait jusqu’au restant de mes jours. Le sentiment qui fait qu’un jour on se croit assez fort pour s’engager toute une vie avec la même personne. Et tout ça ne m’a pourtant jamais empêché de me sentir heureux d’être amoureux. Alors on me répond : “c’est que tu n’étais pas amoureux”. C’est faux. Profiter de l’instant, sachant justement que ce n’est qu’un instant, c’est ce que l’on fait tous les jours. On se comporte comme si nous n’allions jamais mourir. On se lève tous les matins, on prend notre temps, on se plaint, et on ferme les yeux sur un destin pourtant inéluctable. On fait même des enfants !
Quand j’avais 16 ans, mes potes tenaient le même discours que moi : “je ne me marierai jamais !”. Et je me disais aussi que je regarderai du catch toute ma vie. Ma maman se moquait de moi en disant que tout ça changerai. Dix ans plus tard, je regarde toujours des mecs en slips faire semblant de se battre et la plupart de mes copains du lycée ont fini la bague au doigt. D’une certaine manière, je les envie. Ils ont réussi à fermer les yeux. Vous miseriez tout votre argent vous, en ayant une chance sur deux de tout perdre ?

Si je vous raconte tout ça, c’est parce que c’est sûrement grâce (ou à cause) de cet état d’esprit que j’ai autant voyagé et que je me retrouve au milieu d’une rue qui était bondée il y a encore une heure, à observer des gens qui ont tous l’air heureux et immortels. Les yeux fermés, la conscience tranquille. Moi, je n’ai ni l’âme d’un abbé Pierre, ni le courage d’un grand reporter, ni le mental d’un champion, ni la force de fermer les yeux. Je suis un gamin voyageur, qui a lâchement choisi la fuite en guise d’échappatoire. Trop bien conscient que cette solution n’est pas éternelle, j’observe les gens, je découvre le monde et j’alterne entre admiration et résignation. Parce que la vie n’a aucun sens et que je n’arrive pas à l’oublier.
Hier, alcoolisé, je me suis retrouvé assis par terre, avec un chilien et une française, sur les routes depuis 3 ans, à enchaîner les discutions avec des clochards vagabonds. Je me suis fait une promesse : désormais, si je dois fuir, ce sera avec un minimum de panache et pas comme un vulgaire touriste. Courage, fuyons!

barcelone rue

En face de moi, un homme déguisé dans un costume d’Alien, gagne sa vie en intriguant les quelques derniers passants. Une pièce contre une photo. De l’autre côté de la rue, The Mask lui a moins de succès en cette fin de journée. Il vient de déclarer forfait et commence à remballer tout son attirail.

La rambla, Barcelone – 23 janvier 2014, 20h07

La vie continue

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