Petite fierté ce soir. Je regarde le ciel en feu se poser sur quatre années de travail. Quatre ans à planter, à observer, à laisser la nature prendre sa place.

Il y a quatre ans, ce n’était qu’un champ. Une prairie sans histoire. J’y ai semé des arbres, des fleurs, des rêves. J’y ai semé du doute aussi, souvent. Est-ce que les campagnols laisseront les racines tranquilles ? Comment protéger l’écorce des troncs des attaques de chevreuils ? Est-ce que ce terrain très exposé aux vents était vraiment une bonne idée ? Au début, la nuit, lors des orages, je m’inquiétais pour de petits plants frêles, que j’avais mis en terre avec tant de soin. Mais à force de patience, de coups de pelle, d’essais, d’espoir et de matins humides, je vois le champ se transformer doucement en mon rêve de jardin-forêt. Un petit monde qui pousse, qui murmure, qui m’apprend l’humilité.

Pendant des années, j’ai voyagé. Mais ici, j’apprends autre chose : rester. Construire. Rater. Recommencer. Et surtout… j’apprends à être fier de moi. Ce n’est pas forcément simple. Le voyage, franchement, c’était facile, au fond. J’avais les bons plans et les astuces pour partir loin et longtemps sans dépenser trop d’argent. L’envie et le plaisir d’être ailleurs étaient tellement forts que ce qui semblait représenter d’énormes sacrifices n’étaient en réalité que des formalités. Il n’y avait pas de quoi être fier. Ce n’était pas un exploit, juste un mode de vie différent. Je peux encore repartir des mois entiers, comme avant. Je connais tous les codes. Mais parlons plutôt des petites fiertés.
Pouvoir récolter ses propres plantes aromatiques et légumes ou revenir à la maison les mains remplies de baies délicieuses. Ce qui fonctionne le mieux : les fraises. L’année dernière, j’en ai récolté pour près de 3 kilos. Cette année, c’est plus de 15 kilos. Tout ça à partir de 6 petits pieds plantés il y a 3 ans et malgré des feuilles dévorées à 80 % après la floraison cette année (probablement par des lapins).

Ce n’est pas encore l’abondance partout, mais c’est déjà la joie : les confitures, les tartes, les smoothies, les dégustations directement sur place et même de quoi congeler pour le reste de la saison… et surtout, la satisfaction profonde de voir la terre répondre. J’ai décidé de savourer ces petites victoires. Parce que la nature est exigeante et parfois sévère. Parce qu’ici, rien ne m’est donné et tout peut être repris sans négociation. Et chaque réussite est un pas qui me lie davantage à ce lieu que je tente d’apprivoiser.


Ce n’est pas un aboutissement, c’est un commencement. J’ai encore mille envies : creuser une mare, mettre en place une piscine naturelle, ajouter des bancs cachés sous les arbres, développer toujours plus d’espèces et faire de ce terrain un refuge pour les humains comme pour les animaux. Mais ce qui est rassurant pour un enfant comme moi, qui peut vite se lasser, c’est que chaque jour, je redécouvre le paysage avec la même satisfaction et la même envie. Ça tombe bien : il faut continuer de rêver.

Et ce soir, dans cette lumière dorée, j’ai l’impression que la terre aussi rêve avec moi.
“C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.”
Le Petit Prince
“Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé.”