Aujourd’hui, je me suis volontairement perdu. Et en descendant cette ruelle, qui semblait ne mener nulle part mais qui était trop belle pour ne pas l’emprunter, j’ai été frappé par le ballet des nuages. Je me suis arrêté, au milieu de la pente, et j’ai gardé la tête en l’air plusieurs minutes. Personne ne semblait prêter attention au spectacle. Et puis, j’ai cru t’apercevoir au loin alors j’ai continué d’avancer jusqu’au bout de la rue. Les nuages, majestueux, traversaient ton centre à toute vitesse.
C’est à cause de toi si je suis parti un peu partout et que je ne me retrouve maintenant nulle part. Si je suis de nouveau ici, chez toi, où il me semble que ma vie a réellement commencé, il y a 5 ans. Je te l’avoue, j’avais peur de ne pas me sentir à ma place en revenant te voir. Peur d’avoir trop embelli les souvenirs. Depuis que l’on s’est quitté tu t’en doutes, j’en ai aimé d’autres. Mais aucune n’a eu ta saveur.
A l’époque, beaucoup pensaient que ce ne serait qu’une passade et que partir te voir n’apporterait rien. En tout cas, rien de concret dans ce que les gens appellent parfois la vie normale : pas d’enfants, pas de carrière, pas de cap à tracer, pas d’ambition ni même une simple envie de réussir. Et j’ai croisé des Français qui racontaient, avec un brin de fierté, qu’ils avaient dépensé tout leur argent en l’espace d’un ou deux mois chez toi. La fête était belle mais la vie trop chère. Cela ne m’étonnerait pas qu’eux ne soient jamais revenus te voir. Alors, tu aurais pu me pousser à faire machine arrière ou me couper dans mon élan mais tu as fait tout le contraire et rendu mon premier long voyage extraordinaire. C’est toi qui m’a donné cette envie de manger de nouveaux paysages chaque jour, ce sourire en marchant et cette joie de voyager. C’est à cause de toi si j’en suis encore là, nulle part, dans un avion pour Melbourne, en train d’écrire cet article.
Je me souviens encore de la fois où mes potes ont débarqué avec notre van. Je sortais d’une laverie miteuse avec mon sac de pseudo aventurier trop grand sur le dos et une furieuse envie de prendre la route. Je me souviens de mes premières nuits en auberge et de mon sourire dans mon lit superposé grinçant. Je me foutais qu’il y’ait parfois quelques cafards et de la propreté aléatoire des douches. Je ne repoussais plus indéfiniment l’heure du sommeil et je ne peinais plus à m’endormir. Le voyage était une source d’euphorie continue. De ma récente vie de jeune adulte, c’était la première fois que je n’éprouvais aucune mélancolie.
Enfant, je réussissais toujours à me réfugier quelque part, dans quelque chose. J’oubliais vite que je pleurnichais pour des sucreries et ma maman avait toujours réponse à mes questions. Et quand elle ne souhaitait pas m’offrir ce que je réclamais, sa réponse était toujours identique : on verra. Mais en fait, on ne voyait quasiment jamais. J’étais trop tête en l’air. La solitude était alors pour moi une notion insignifiante. Je n’avais peut-être pas de copain imaginaire mais toujours des tas de choses à me raconter, de trucs à découvrir, et d’expériences idiotes à réaliser.
En grandissant, j’ai mis du temps à réaliser que malgré les apparences (un frère et des copains), je m’isolais tout le temps. J’aimais faire du ski ou du roller, tout seul, pendant des heures. Je faisais des trous dans ma couette pour être seul sous ma tente et je dessinais contre les murs, seul, à l’intérieur d’un placard. J’avais une dizaine d’années et j’essayais d’oublier, en faisant des roues arrières sur le parking, l’image de mon grand-père mort, me regardant droit dans les yeux. J’avais simplement été dans le bon axe et à la bonne hauteur pour croiser une dernière fois le regard de ce vieux monsieur qui vivait avec nous et que j’admirais pour son charisme.
Et puis adolescent, quand on n’aime plus être seul sous sa tente ou dans un placard, je me souviens avoir pleuré des nuits entières. Parce que passer ses étés en construisant le parc d’attractions de ses rêves sur un ordinateur ne suffisait plus. Parce que je n’avais pas l’impression d’exister et que je réalisais que j’avais beau avoir grandi au contact de plein de gens, je n’avais été proche de personne. Je commençais à me rendre compte que je manquais d’affection et je me vexais avec des années de retard qu’on ne m’ait pas invité à des anniversaires. J’étais depuis devenu le gars toujours ironique et taquin, qui pleure jusqu’à 5 heures du matin mais se ramène au lycée avec le sourire, comme si de rien n’était. Celui dont on ne peut, au mieux, que s’approcher. J’étais passé de l’enfant un peu doué, qui avait refusé de sauter une classe, au gosse paumé, qui avait redoublé une année. Et grâce à toi, tout ça était officiellement du passé.
Force est de constater que depuis, j’ai vieilli. J’ai beau toujours avoir envie d’être partout et de me goinfrer de bonbons, je digère moins bien ces voyages. Je souhaite toujours être ailleurs mais plus sans arrêt cerné, baillant, fatigué de toujours me déplacer.
Peut-être qu’un jour, je reviendrais à nouveau te voir et que cette fois ma vie sera un peu plus normale. Peut-être même que j’aurais des enfants. Je répondrai toujours à leurs questions et leur expliquerai que c’est ici que papa s’est senti entièrement heureux pour la première fois. Et ensemble, on regardera les nuages qui défileront à toute vitesse.
Entre Sydney et Melbourne, 03 janvier 2015.
Magnifique cousin….
Très bel article. Bien écrit et très touchant…
Merci Maeva 🙂
Merci 🙂 (Toujours content de voir que tu es fidèle)
Fan du premier jour !!! D'ailleurs j'attends toujours mon cadeau et le DVD 😉 !!! Enjoy 😀
Oh ! Tu m'a flanqué des frissons !!! Belle plume, belle vie, beau regard… merci 🙂
Merci à toi oui 🙂
C’est drôle car on voit comme notre regard sur le voyage change au fur et à mesure que l’on change. Comme on peut finir par avoir besoin de “voyage” plus “stable”, “confort”, qui nous malmène moins. Quand j’étais petite, j’ai fait beaucoup de voyages, on bougeait beaucoup, quasiment à toutes les vacances, et même si j’aimais ça, je souffrais aussi souvent du manque de tranquillité. A l’époque, le voyage n’avait pas pour moi ce côté dépaysant, ce frais dans ma tête.
Et puis j’ai grandi, j’ai moins voyagé, parce que le temps est venu que ce soit moi qui me paye mes voyages. J’ai bougé de région, du nord au sud, toute seule, j’ai randonné toutes les semaines, je me suis donnée à fond dans le voyage… et j’ai fini par “rentrer à la maison” parce que j’étais bien la-bas mais j’étais seule.
Aujourd’hui, j’aime les escapades, le voyage, mais je suis dans une période ou j’ai envie de vivre le voyage avec les autres. Ou je n’ai plus besoin du voyage pour me confronter à moi-même. Ca doit être l’âge qui veut ça :p
Superbe RÉCIT !
je file en lire d’autres pour la peine 🙂
Mais je vous en prie ! Merci 🙂
Ton article m’a filé des frissons. Magnifiquement bien écrit, très belle plume.
Merci 🙂
ben purée….un vilain coup de blues en te lisant un jour de reprise du taf……….snif snif
Avec du recul, mon regard sur mon enfance est moins aigri qu'il l'était à une époque. Je pense pouvoir dire que le voyage m'a apaisé.
Je connaissais tes talents pour le montage vidéo mais là, tu m'as bluffé.
Ça se lit bien, belle inspiration. 😉
Merci Mick 🙂 J'ai plus le physique pour te bluffer au foot 😉
Je suis contente de constater que je ne suis pas la seule à te trouver du talent pour l'écriture. Je te prédis un bel avenir dans ce domaine.
J'ai bien aimé ton texte, car je m'y retrouve un peu. La mélancolie, elle me suis depuis que je suis toute petite, mais j'ai appris à vivre avec…en général 🙂 et j'aime beaucoup regarder les nuages dans le ciel. La vie continue!
Merci 🙂
Merci 🙂
Tu avais 2 cadeaux ! Un bonnet (où est-il?…) et une clé usb Angry Birds ou Bob l'éponge me souviens plus (elle traine sur mon bureau) 😉
merci.
Je viens DE tomber par hasard sur votre site, ( ha zut ça ecrit en lettre capitale ! on va croire que j’hurle), et je vous trouve simplement courageux.
Je ne sais pAS si nos histoires se rapprochent, mais je comprends ce sentiment de solitude et cette envie d’être entourée, de se dire que peut-être une vie “normale” aurait été la meilleure chose qui puisse nous arriver, avoir la chance d’être bien entourée, se satisfaire de peu pour etre heureux.
Mais je crois que tu es assez lucide pour comprendre que ce que tu vis, tu le vis, pleinement. contrairement à d’autres, tu ne fais pas semblant, et à la question “qu’as-tu fait d’extraordinaire dans ta vie?”, tu auras toujours tant de choses à raconter.
Continue a croire en toi, c’est une force que peu de personnes ont en elles et avec un peu de patience (cette putain de patience), tu trouveras ce qui t’attend sans y ëtre preparé.
Ce que j’ai lu, ça m’a fait du bien.
Je suis touché 🙂 Merci beaucoup.
Bel article, vraiment bien rédigé 😀 Vraiment une belle inspiration.
Merci Alaa 🙂
J’entrevois une jolie âme… Joyeux anniversaire Thibaut 🙂
Merci 🙂
Hello,
Je me retrouve un peu dans ce que tu dis. D’être entourée et d’être seule. De pleurer sans que personne s’en aperçoive. Et puis un jour de voyager… partir à l’aventure. Je suis partie un an en Australie et j’avais toujours besoin de bouger. Je suis rentrée, heureuse de retrouver mes proches mais j’ai toujours ce besoin de bouger. Récemment je suis tombée sur cette citation : it feels good to be lost in the right direction. Un peu comme s’il n’y avait pas de direction, juste des chemins à prendre… et apprendre à se comprendre au fur et à mesure, accepter que l’on change aussi.
Bref, merci pour cet article!
Merci beaucoup pour ton message. 🙂
“Parce que passer ses étés en construisant le parc d’attractions de ses rêves sur un ordinateur ne suffisait plus. Parce que je n’avais pas l’impression d’exister et que je réalisais que j’avais beau avoir grandi au contact de plein de gens, je n’avais été proche de personne.” – Merci pour ce beau récit. Je vadrouille sur ton blog et lis tes articles avec plaisir en attendant mon TDM d’ici quelques mois…
Merci Anaïs 🙂
[…] mois et deux compagnons de route parfaits m’ont offert l’extase au quotidien. Une mélancolie lancinante s’était dissipée. […]
[…] mois et deux compagnons de route parfaits m’ont offert l’extase au quotidien. Une mélancolie lancinante s’était dissipée. […]