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bateau vinh long

Au gré des rencontres dans le Delta du Mekong

Tandis que je me la coulais douce du côté de Chiang Mai, Yohan s’aventurait, au hasard, en direction du Delta du Mékong, à l’extrême Sud du Vietnam. Voici son carnet de voyage.

Depuis Ho Chi Minh Ville (anciennement Saigon), je ne me voyais pas rater l’étape Delta du Mékong, région si souvent admirée dans des reportages sur le Vietnam. Dans la plupart des guides, on vous conseille des formules transports + hôtels sur un ou plusieurs jours. Autant dire, tout ce que je déteste. J’ai donc cherché dans un premier temps un bus m’emmenant au cœur du Delta. En me battant bien, j’ai fini par trouver une sorte de gare routière à l’écart du centre de la métropole, depuis laquelle je pourrais rejoindre en bus, euh… disons Vinh Long, par exemple!

Impossible de vous dire pourquoi cet endroit particulièrement mais pourtant me voilà dans la gare remplie de locaux avec une seule idée en tête, trouver ce fameux bus. Un grand barbu, dans le coin, ça n’est pas commun. Alors en 10 secondes à peine, un Vietnamien me propose son aide avec de grands gestes. « Vinh Long ! OK ! OK ! ». Il m’écrit sur un papier : 240 000 dongs. Je lui montre alors du doigt le panneau que j’ai sous les yeux, au-dessus d’un guichet : Vinh Long 60 000 dongs (environ 3€). Il sourit comme pour me dire « on t’la fait pas à toi, champion ! » et veut tout de même, pour se racheter, m’emmener dans la bonne navette. Je grimpe à bord et provoque l’étonnement des voyageurs surpris de me voir ici. Je m’assoie alors qu’il fait bien 40° à bord de ce tas de ferraille rouillée. Les vendeuses ambulantes se relayent à l’intérieur ou en frappant aux carreaux pour proposer de l’eau, du pain et des tickets de loterie. Le passager derrière moi en achète plusieurs et 5 minutes plus tard, me tape sur l’épaule. Il me tend un de ses billets, il tient visiblement à me l’offrir.bus-cadeau
C’est idiot mais je me sens un peu gêné de recevoir ce cadeau sans pouvoir moi-même lui proposer quoique ce soit, si ce n’est un peu d’eau qu’il refuse. Ce geste tout simple, mais tellement généreux, me donne le sourire. Je suis un curieux étranger, mais je semble le bienvenu à bord.
Après 4 ou 5 heures de bus (pause repas au bord de la route comprise), tout le monde s’agite en me regardant. Je crois comprendre qu’il est tant que je sorte de cette épave. Je piétine la moitié des voyageurs entassés, assis par terre dans l’allée centrale, pour atteindre le niveau du chauffeur. Mort de rire, il s’amuse à me tirer les poils des jambes, avant de s’arrêter et de m’ouvrir la porte. Une vraie coutume ici il faut croire

Seul imbécile à sortir là, au milieu de nulle part, visiblement à 4 ou 5 km de Vinh Long d’après Google Maps, je suis immédiatement pris en charge par Scooterman. Ce brave Monsieur casqué m’enchaîne un monologue dans un anglais horrible et tente de me convaincre de monter derrière lui pour rejoindre un hôtel dans la ville « for a good price » : 180 000 dongs. Ok, donc 3 fois plus cher que mes 5h de bus. Je cherche à le semer en allant droit devant moi, au hasard. Il me suit en passant des appels pour me trouver de quoi dormir et me montrer son dévouement. Il me passe plusieurs fois le combiné… mais je ne parle pas le Vietnamien par contre Michel ! Par fierté, même si je suis perdu et que je n’ai nulle part où dormir, je refuse de monter derrière lui et fini par le décourager. Il commence à faire nuit. J’aperçois un peu de lumière au loin. Ouf, de quoi me restaurer, un bon début ! Au milieu des poules et des chats qui rôdent autour de moi, je commande ma fameuse soupe de nouille du soir puis je tente ma chance, un peu découragé, à la façon d’Antoine de Maximy dans « j’irai dormir chez vous ». Par les signes, je fais comprendre que je n’ai nulle part où dormir ce soir. Je tente de savoir s’ils n’auraient pas un petit matelas, ou bien ne serait-ce qu’un coin de béton pour le voyageur perdu que je suis. La patronne m’indique que son voisin pourrait m’aider mais elle me fait comprendre que ce ne sera pas le 5 étoiles. Sans aucune hésitation, je fonce chez lui. Je rencontre un jeune homme d’à peine 15 ans, maillot d’Arsenal sur les épaules, me dévisageant avec un air peu chaleureux. Il m’ouvre la porte d’une pièce affreuse. Je n’ai pas le choix et accepte de toute façon la chambre vietnamsentence : je vais passer la première nuit de ma vie en cellule. Certes, pour 3 euros, il ne fallait pas s’attendre à grande chose, mais une chambre avec un lit humide, 3 geckos, 4 cafards, une centaine de moustiques comme compagnons et pas d’eau courante (ni dans la chambre ni d’ailleurs dans tout l’établissement), ce n’est pas évident. Il va s’agir d’être solide mentalement. Il ne me reste qu’un fond d’anti-moustique et j’espère ne pas avoir à regretter ma décision de ne pas prendre de traitement contre le paludisme, non obligatoire, mais fortement conseillé pour cette région du monde. Je m’asperge allègrement jusqu’à la dernière goutte en comptant sur ma bonne étoile. C’est dans ces moments difficiles que toute l’expérience accumulée dans mes voyages doit me servir. Au fond du trou après cette fin de journée cauchemardesque, je tente de m’endormir tant bien que mal, en me disant que la journée de demain ne pourra être que plus positive.

Je me réveille au petit matin, inquiet. Suis-je encore vivant ? Les moustiques m’ont-ils laissé une chance ? J’en ai bien l’impression, ne ressentant aucune démangeaison. Miracle ! Je quitte les lieux au plus vite et avance au bord d’une route déserte, toujours sans réel projet, avec mon gros sac sur le dos. À peine le temps de repenser à cette nuit étrange qu’un scooter ralenti à mon niveau. Un européen en descend. Je le vois remercier chaleureusement son chauffeur Vietnamien qui lui indique qu’un bus va passer ici dans quelques heures. J’interpelle ce voyageur que je prends plus ou moins pour le Messie. Comment aurait-il pu atterrir à mes côtés s’il n’en était pas un ? « Que fais-tu là ? Quelami vietnamien bus est ton projet ? » Il est Autrichien et est comblé par les 3 jours qu’il vient de passer sur une île du delta, juste en face de Vinh Long. Il a séjourné dans un lieu, qui, à l’écouter, ressemble au paradis. Les propriétaires seraient une famille adorable, prêtant des vélos, fins cuisiniers et propriétaire d’une confortable maison dans un domaine plein de charme. Mais ce n’est pas tout ! Il me présente son chauffeur, Vinh Tran alias Justin, fan de la culture occidentale et ravis de transporter des étrangers gratuitement sur son scooter en échange d’une conversation en anglais et d’une amitié sur Facebook. En moins de 2 minutes, il me propose en effet une visite de la ville et un dépôt devant le bac me permettant de joindre l’île et cette fameuse maison. J’ai du mal à y croire mais foutu pour foutu, je grimpe à l’arrière du 2 roues, remerciant mon sauveur autrichien, tombé du ciel.

Il n’y aura aucune arnaque dans cette histoire. Et après m’avoir déposé devant le bac, mon chauffeur a clairement refusé tout dédommagement.

J’arrive devant cette superbe maison sans la moindre réservation. Les propriétaires m’accueillent avec de grands sourires et de quoi me rafraichir. Au programme pour une dizaine d’euros : des repas extrêmement copieux et savoureux (petits dej et diners), des cours de cuisine Vietnamienne le soir, des locations gratuites de vélos, de l’eau chaude et des chambres spacieuses avec de bons lits confortables, protégés par des moustiquaires. Je suis définitivement sauvé.

Fin de matinée, je profite d’un free-vélo pour partir à l’aventure. Je décide de suivre mon instinct en me dirigeant au hasard sur cette île. Plus les chemins sont étroits, plus ils m’attirent. Je découvre des paysages hors du commun et croise des paysans, des pêcheurs, ainsi que de nombreux enfants, surpris de me trouver là, me lançant tous ces « hello ». Cela fait bien deux heures que je roule et j’ai atteint mon but : je suis perdu au milieu de la nature luxuriante du delta du Mékong.

Isolé, du moins je le croyais. Je passe devant un groupe d’anciens, buvant le thé dans une petite maison. Ils me font de grands signes. Visiblement, ma barbe de trois mois ne passe pas inaperçue. Ils insistent pour que je les rejoigne à leur table. Ils ne parlent pas un mot d’anglais (voire même pas une lettre à ce niveau-là), mais peu importe, nous échangeons avec des gestes, des regards. Mon guide sur le Vietnam tout comme mon appareil photo les intrigue. Je leur montre mon parcours dans leur pays sur une carte et leur apprends à faire des clichés avec mon reflex. Ils sont très amusés de se voir sur l’écran (même flous). En échange, ils m’offrent du thé, de l’eau fraîche et des biscuits. La rencontre dura tout de même une trentaine de minutes. Il n’y a eu besoin d’aucune parole. Des regards et des sourires ont suffi à montrer le respect que nous avions les uns pour les autres, malgré nos différences frappantes, d’âge, de couleur de peau, de culture, de religion, … Peu importe, nous étions avant tout des êtres humains.

Il me semble que le hasard fait bien les choses pour ceux qui aiment prendre le risque de le provoquer. Hier, j’étais en prison. Aujourd’hui, dans l’inconnu et face à l’étranger, je m’évade. Elle est là, toute la force du voyage, dans cette simplicité à provoquer l’émoi.

Ce moment de complicité pourrait vous sembler insignifiant. Pourtant, à l’autre bout de la planète, cet instant-là m’avait rendu tout simplement heureux.

Yohan Borgel

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